Petit cœur à la flotte.

 

Tu as 3 ans.

Et tu vis ta première peine d’amour.

 

Je m’étais préparé tsé, à la seconde où mon ventre est devenu ta maison.

Je savais qu’un jour tu aurais des peines bien plus grandes que mes bras de maman.

Qu’un jour je serais sans mot devant ton grand cœur brisé.

 

Mais à 3 ans?
Sérieux?

Non.
Là, je n’étais pas prête du tout.

C’est arrivé comme dans la vraie vie.

Une fin d’après-midi comme les autres.

Où on ne sait pas ce qui nous attend.
Où on ne sait pas encore que notre vie sera virée boutte pour boutte.

 

Je t’ai installé avec ta collation, devant ton Pat’Patrouille.
Comme d’habitude.

Tu m’as dit merci, tu as commencé à manger et je suis partie à la cuisine faire le souper.
Comme d’habitude.

Je les ai entendus de loin.

Je t’ai entendu t’exclamer.
Puis j’ai entendu ton silence.
J’ai senti qu’il se passait quelque chose.
Je t’ai rejoint au salon.

Et je les ai vu.

 

Les chiens-sirènes.

 

Ce soir-là, tu n’as parlé que de ça.

De Ryder qui viendrait à la maison

Du bisou sur le nez qui te donnerait la queue de chien sirène que tu voulais.

De Stella et Zuma qui seraient dans ta chambre demain matin.

 

Ce soir-là, ton papa et moi avons été bien naïfs.

En t’enfilant ton pyjama, alors que tu n’avais de mots que pour les chiens-sirènes qui viendraient te voir, nous t’avons dit que si tu faisais dodo vite vite vite, peut-être y rêverais-tu.

On va se le dire, c’était vraiment une stratégie parentale cheap.

 

Ce soir-là, tu n’as même pas voulu tes deux histoires auxquelles tu tiens tant d’habitude.
Tu t’es couché directement sous les couvertures, doudous en main, et tu as fermé tes yeux fort fort fort, exactement comme je t’avais dit de le faire.

 

À ce moment-là, il y a un petit doute qui s’est formé dans mon instinct de maman hypersensible.
Me suis dit, Oh fuck. Ça va être plus grand que nous c’t’affaire-là.

 

Et, comme d’habitude, mon instinct de maman a eu raison sur tout la ligne.

 

Cette nuit-là, tu t’es réveillé, beaucoup, et agité.

Tu cherchais.
Tu attendais.

Je me disais, ben non, ça s’peut pas, quand même.

 

Et le matin, j’ai compris.

 

Ce n’est pas « Maaaaamaaaan?!? » que tu as crié en te réveillant.

C’est « Les Pat’Patrouuuuuiiiiilllllles?!? »

LÀ.

À ce moment-là.
C’est mon cœur à moi a commencé à se liquéfier.

J’ai entendu tes petits pas venir vers moi. Puis repartir. Puis faire le tour de la maison.

Je t’ai retrouvé assis près de la porte d’entrée, les yeux dans l’eau et le menton tremblotant.

Ryder n’était pas venu.

Stella et Zuma non plus.

Les chiens-sirènes t’avaient oublié.

Et moi, mon cœur est parti à la flotte avec le tien.

 

Je t’ai pris dans mes bras.

T’ai parlé doucement.

T’ai dit qu’ils étaient très occupés, qu’ils ne pouvaient pas venir te voir, qu’ils avaient trop de missions et que la Grande Vallée était très très trèèèèèèèès loin.

Je t’ai proposé de les regarder à la télévision.
De sortir les livres.
De jouer à faire semblant que nous étions des chiens-sirènes.
J’ai imité la voix de Stella. De Zuma. De Ryder.
Tu m’as dit « Ok. »
Mais tes yeux sont restés mouillés.

 

Ça fait 3 semaines de ça.
Et tu les espère encore.
Mon grand.
Mon beau grand garçon.
Je m’excuse tellement de t’avoir légué bien malgré moi cette intensité du cœur qui nous dépasse et qui nous faire croire toujours plus grand. Et en même temps je te trouve si beau de croire x 1000, d’avoir l’imaginaire plus fort que tout, d’avoir ton monde à toi.

 

Je n’ai pas envie de te dire qu’ils n’existent pas. D’oublier ça.
Parce ce n’est pas vrai. Ils existent. Dans ta télé. Dans tes livres. Dans ta tête et dans ton cœur. C’est ça qui compte non? On n’est pas dans la raison là, on est PARTOUT sauf là.

Mais comment panser ton si grand désarroi, comment te consoler alors?

Pour vrai, je ne le sais pas du tout.

Je suis probablement aussi clueless que le jour où tu rentreras à la maison avec ta première peine d’amour.
Je suis probablement aussi chavirée que le jour où une personne en chair et en os te marchera sur le cœur.

Ce que je voudrais te dire là, maintenant, c’est de ne jamais t’empêcher de croire.
De ne surtout jamais, jamais penser que quelque chose ou quelqu’un n’est pas à ta portée, que c’est out of your league comme ils disent.
Y a rien de pire que de penser ça.

Parce que non seulement ça t’enracine à la mauvaise place, mais en plus, ça t’emmènera peut-être sur le mauvais chemin. Tsé, celui qui suit en parallèle la route principale que t’aurais voulu prendre mais que tu ne recroiseras plus jamais?
Ben c’est ça.
Fonce mon grand. Crois. Aime. Pis prend le risque de tomber. Parce que le saut vaut souvent le coup. Même si chaque fois que tu sautes, mon cœur s’arrête.

 

L’affaire, c’est que t’as juste 3 ans.

J’serais VRAIMENT too much de te dire tout ça.
Faqu’on fait semblant de parler avec Ryder au téléphone pour te rassurer. Pour que tu comprennes qu’ils ne t’ont pas oublié, mais qu’ils ne peuvent pas venir te voir, qu’il faut les aimer de loin et dans ta tête.
Pis pendant ce temps-là, ben j’me prépare en ta pour l’arrivée du Père Noël.

 

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