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L’identité de genre : pour mieux comprendre
Socialement, un débat a lieu sur la place publique sur le thème de l’identité de genre. On se questionne sur la place à donner à ce phénomène dans nos écoles au Québec et dans nos vies, en général. Comment accompagner les enfants et les adolescents « trans » qui manifestent une appartenance à un autre sexe que celui qui leur a été assigné à la naissance? La sensation d’être une fille ou un garçon, d’être les deux ou ni l’un ni l’autre est une expérience personnelle et intérieure. Il s’agit là d’une sensation intime et profonde.
Le débat est houleux
Le débat est houleux! Il divise les gens au point de donner lieu à des propos haineux et des comportements abusifs envers ceux qui ont un avis différent du sien. Il divise aussi les professionnels qui prennent soin des enfants et des adolescents « trans » qui se questionnent sur leur identité de genre. Pour certains spécialistes, il faut agir en amont, rapidement en proposant un suivi médical pour éviter que le jeune s’enlise dans le problème qu’il ressent. Pour d’autres, il faut bien prendre le temps d’évaluer chaque cas en faisant un suivi physique, psychologique et social avec l’aide de ressources diversifiées. Il faut donc prendre le temps qu’il faut avant de proposer une intervention médicale. L’entente ne règne pas. Les études se contredisent. Dans ce contexte difficile, voici une réflexion sur l’identité corporelle et sur le cheminement humain pour passer de l’enfance à l’âge adulte en développant son identité de genre. Cherchons d’abord à comprendre l’inquiétude de certains quant à cette problématique pour ensuite présenter brièvement la position de personnes qui se sentent plus ouvertes face à cette problématique. Nous terminerons en abordant la question d’un nouveau paradigme qui nous invite à nous engager vers une nouvelle ère où la différence a toute sa place dans la dignité reconnue à chaque humain et le respect auquel chacun a droit.
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L’inquiétude de certains
Pour certains, le fait d’aborder à l’école la question de l’identité de genre a un effet pervers en influençant les enfants, en les endoctrinant même. Ces gens ne sont pas surpris de voir la flambée de cas ces dernières années où des enfants et des adolescents se prétendent « trans », non-binaires, etc. Ces jeunes sont mal dans leur corps et ne s’identifient pas au sexe biologique qu’ils ont.
Pour ces personnes, ouvrir cette porte remet en question les fondements même de l’humanité en proposant des modèles où on ne considère plus qu’un homme est un homme et qu’une femme est une femme. Comme l’union des deux engendre la vie nouvelle, ces gens préfèrent s’appuyer sur les normes traditionnelles sociales hétéronormatives. L’attirance du masculin et du féminin fonde la vie.
Pour certaines personnes, les choix d’une fille se distinguent des choix d’un garçon que ce soit pour la coiffure, les vêtements, les jeux et jouets et les activités. Et les rôles assignés à chaque sexe sont relativement stables bien qu’il y ait une certaine évolution sociale depuis quelques décennies. Donc, enseigner aux enfants des notions d’identité de genre vient les mêler dans un moment où ils sont vulnérables, influençables puisqu’ils sont en croissance.
L’ouverture des autres
Depuis plusieurs années, un mouvement d’affirmation de la différence sexuelle a pris forme et a donné lieu à des fêtes et des manifestations publiques pour énoncer haut et fort son appartenance à la communauté LGBTQ2+. Le droit au respect, à la dignité, à la reconnaissance est défendu par eux au même titre que les hétérosexuels. Ainsi, les identités de genre qui ne correspondent pas aux normes traditionnelles sont pleinement reconnues et invitées à s’affirmer de manière pro-active pour faire évoluer les mentalités.
Vers une nouvelle ère
La société change. Elle évolue. Que l’on pense à la culture musicale des dernières décennies où des artistes se disent « androgynes » (Boy George, David Bowie). Que l’on pense à la mode unisexe qui propose des vêtements et accessoires semblables pour les deux sexes. Que l’on pense aux coiffures que l’on suggère de nos jours qui rendent la distinction entre le masculin et le féminin très difficile. « Androgyne » signifie, dans le dictionnaire Larousse, « qui tient des deux sexes ». Le mouvement social vers l’androgynie est bien amorcé. Les jeunes d’aujourd’hui sont influencés par ces modèles qui leur sont proposés. Ces modèles sont différents de ceux que l’on a connus comme enfants bien souvent.
La philosophie de la vie change aussi. Aujourd’hui, il devient plus important d’être soi-même et de se présenter socialement tel que l’on ressent son identité de genre. Le discours nous invite à se choisir soi-même au lieu de chercher à plaire à la société. Pour sentir sa place en ce monde, nul besoin de faire plein de compromis. Il vaut mieux s’assumer. La dépendance au regard extérieur validant s’estompe et se transforme peu à peu pour accentuer le regard intérieur. Ainsi, la légitimité de chacun de faire ses choix intimes selon son ressenti s’impose. L’acceptation des différences fait partie du discours social actuel.
Le cheminement identitaire
Or, cette évolution de la société s’inscrit en harmonie avec le cheminement identitaire que tout être humain vit. On sait que chacun a reçu la vie de la rencontre entre le masculin et le féminin. C’est l’origine de toute vie humaine! Et chacun a à cheminer pour quitter graduellement une position relationnelle fusionnelle et symbiotique que l’on occupe tous au début de la vie. Pour devenir un adulte autonome, il faudra consentir à ce détachement. Développer sa propre capacité d’automaternage et d’autopaternage, comme nous dit Françoise Dolto, nous permet d’intégrer le bagage reçu du masculin et du féminin présents dans nos vies respectives.
La rencontre du masculin et du féminin dans les contes traditionnels
Par ailleurs, il n’est pas surprenant de constater que, dans les contes traditionnels, la rencontre du masculin et du féminin à la fin des histoires amène une nouvelle ère où le conflit est résolu. Que l’on pense à Blanche-Neige, à Doucette, à Cendrillon, à la Belle au bois dormant, à la Belle et la Bête, etc. Ce sont là dans ces contes des projections de nos deux énergies essentielles qui nous ont constitués comme êtres humains. Cette rencontre du masculin et du féminin en nous qui est reflétée dans les contes traditionnels nous amène dans une unicité fondamentale qu’est l’androgynie. Les contraires sont réunis, comme le Yin et le Yang des asiatiques.
Le vécu des enfants de nos jours
Le mouvement social où le masculin et le féminin cherchent à s’affirmer de manière plus égalitaire (pensons au féminisme) est sûrement ressenti viscéralement par les enfants. L’appartenance à un seul sexe clairement défini de manière « standard », où l’on reconnaît facilement un garçon et une fille dans les vêtements, la coiffure, les activités, les jouets etc., cette appartenance est compromise. D’où la recherche identitaire très marquée de certains enfants qui se demandent à quel sexe ils appartiennent.
S’empresser ou prendre son temps
À savoir s’il faut s’empresser pour proposer aux jeunes des médicaments pour résoudre leur conflit identitaire, il faut d’abord comprendre la complexité de ce qui se trame pour eux dans le fin fond de leur être. L’adolescence est une période cruciale où le conflit identitaire est criant. (Voir dans Vie de Parents, « L’adolescence ou le complexe du homard »). La mutation de l’enfance à l’âge adulte est difficile pour plusieurs. La mort de l’enfance donne un goût amer. L’enfant a besoin d’accompagnement dans une présence aimante et rassurante qui ose parler avec lui de ce deuil si important. Le changement de position existentielle ne va pas de soi. L’anxiété est au rendez-vous. (Voir dans Vie de Parents « Les troubles anxieux chez les enfants, Comment les prévenir? Comment accompagner? »). Pour aider le jeune qui s’interroge sur son identité de genre, il faut considérer l’importance de ce cheminement qu’il vit au plus profond de lui-même et l’accompagner pour qu’il trouve sa place unique en ce monde.
Par Jocelyne Petit, Docteure en Sciences de l’Éducation
Références
Émission Enquête à Radio-Canada, Transition médicale de genre chez des mineurs, mars 2024 (sur le Web)
Mélanie Bergeron, Voici ce que vous devez savoir sur l’identité de genre selon un sexologue, 26 janvier 2024 (sur le Web)
Hugo Pilon-Larose, La Presse, Identité de genre, Quelques pistes pour mieux cerner le débat, 25 mars 2024 (sur le Web)
Hôpital de Montréal pour enfants, Centre universitaire McGill, Identité de genre : au-delà des apparences, 25 mars 2024 (sur le Web)