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L’adolescence ou le complexe du homard
Françoise Dolto compare l’adolescence à ce que vit le homard lorsqu’il se détache d’une carapace pour en secréter une autre plus grande. Le homard est en état de vulnérabilité parce qu’il n’a plus ses défenses habituelles. Il est alors confronté à tous les dangers car les prédateurs guettent. Pourtant, il doit « suinter » une nouvelle carapace (1), (2). Ce passage ne va pas de soi. Loin de là !
QUE VIT L’ADOLESCENT ?
L’adolescent vit une mue. Il effectue le difficile passage de l’enfance vers l’âge adulte durant son adolescence. C’est une véritable mutation, comme une seconde naissance. Tout change pour lui. Le corps se transforme ainsi que les sentiments et les perceptions qu’il a du monde et de ses relations. La seconde naissance s’effectue progressivement. Il doit quitter peu à peu la protection familiale, quitter la position relationnelle enfantine où il dépend de ses parents et des personnes qui en prennent soin, pour développer son autonomie de plus en plus. Par moments, le processus vécu donne l’impression de mourir car c’est bel et bien la mort de l’enfance. Mais le jeune adolescent ne sait pas encore vers quoi il se dirige. L’insécurité est dans l’air et par moments, c’est douloureux. L’humeur oscille entre l’exaltation et la dépression. Le désir de « sortir » s’impose. Le jeune sait qu’il doit sortir de sa famille pour trouver des références et des relais ailleurs. Les rencontres en-dehors de la famille prennent alors une grande importance. L’amitié est capitale! Le jeune s’identifie aux amis. Mais l’équilibre est instable. Comme le homard, l’adolescent perd ses défenses habituelles. L’adolescence peut être la période la plus difficile de la vie. Elle est aussi la période où les joies les plus intenses sont éprouvées. Il y a un grand remue-ménage intérieur et dans le corps. Souvent, l’adolescent s’en défendra en investissant le « Paraître ». Le « look » prendra toute son importance. Ça devient comme une espèce de carapace provisoire. Suivre la mode de la bande devient une façon de s’affirmer et de porter le costume du groupe. Voilà un signe de ralliement et d’intégration qui rassure l’adolescent. Comme il ne se connaît pas encore tout à fait lui-même, il cherche à se plaire dans le regard de l’autre. Il éprouve aussi une fièvre d’amour imaginaire pour des idoles et des héros. L’anxiété et l’inconfort caractérisent souvent cette période de la vie.
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DANS LE CORPS
Dans le corps, des changements hormonaux importants surviennent. C’est comme si l’adolescent grandissait de partout. La silhouette se modifie. Tout se met en place pour la fécondité. Le jeune garçon aura ses premières éjaculations involontaires et la jeune fille aura ses premières règles. Les poils feront leur apparition. Pour les garçons, la moustache et la barbe apparaîtront. La sexualité prend plus d’importance en découvrant son propre sexe et en ayant le désir de l’autre comme partenaire. Les élans amoureux s’imposent autant dans l’imaginaire que dans la réalité. On peut observer des attirances homosexuelles provisoires ou définitives à l’adolescence. Le jeune vivra souvent à contre-courant, en dormant le jour et en étant éveillé la nuit.
COMMENT ACCOMPAGNER L’ADOLESCENT?
- Aider le jeune à entrer dans le monde des responsabilités en lui confiant des tâches qu’il peut entreprendre par lui-même et assurer une progression pour favoriser la prise d’autonomie.
- Offrir un regard positif et validant où la compréhension du vécu du jeune se manifeste.
- Tenir des propos positifs et encourageants concernant le jeune. Éviter la critique et les jugements négatifs. Se montrer sensible. Éviter les mots blessants.
- Éviter de faire en sorte que le jeune s’attarde dans une vie de personne trop assistée. Encourager son autonomie. Prendre garde à la régression papa-maman. Encourager le jeune à s’automaterner et à s’autopaterner. Soutenir le jeune pour qu’il devienne adulte.
- Favoriser l’essor et la confiance en soi, le courage à dépasser ses impuissances.
- Donner la parole au jeune pour qu’il donne son opinion sur différents sujets. Lui dire que c’est intéressant. Éviter de lui couper la parole.
- Chercher à valoriser le jeune de toutes les façons possibles. Le fortifier.
- Aider le jeune par la parole à dissocier la vie imaginaire de la réalité et des rêves.
- Encourager le jeune à créer sous différentes formes.
- Laisser le jeune libre de choisir ses modèles extérieurs sans s’en sentir dépréciés pour autant.
- Permettre au jeune de se libérer de l’influence parentale pour qu’il s’assume lui-même et qu’il dise « oui » à son avenir et à son devenir.
- Favoriser l’indépendance économique du jeune en le soutenant dans ses projets de trouver un travail rémunérateur.
- Renforcer l’individualité convaincue du jeune de ses sentiments et de ses opinions.
- Sachant que la jeune fille est souvent préoccupée par sa taille, éviter d’émettre des commentaires désobligeants qui la blesseraient dans un moment de fragilité.
- Parler aux jeunes des premiers signes de la puberté comme la première éjaculation et les premières règles.
- Offrir des exemples de vie saine comme parents, épanouis dans leur vie sexuelle, engagés dans la vie publique, donnant un sens à leur vie.
- Parler au jeune de la noblesse et de la dignité de la conception. Éviter de se concentrer uniquement sur la contraception. Parler d’amour quand on parle de sexualité.
- Tout en acceptant le détachement qui a lieu, demeurer disponible si le jeune a envie de parler.
- Parler de la mort avec le jeune, des idées de mort, puisqu’il vit la mort de l’enfance et est habité par de telles idées. Éviter de communiquer de l’inquiétude. Le jeune se sentira mieux compris.
- Référer aux services d’entraide pour le suicide au besoin.
- Encourager le jeune à faire partie d’un réseau social extérieur avec des activités culturelles et sportives. Souligner l’importance des activités saines, en marge de la drogue. Éviter d’imposer la compétition dans les loisirs du jeune. Privilégier le plaisir.
- Accepter le jeune comme il est. Éviter de le juger.
- Supporter parfois le silence avec le jeune sans paniquer.
- Soutenir le jeune dans ses aspirations pour le futur pour un métier ou une profession. Soutenir le jeune dans ses rêves et ses projets. Éviter la pression sur les choix du jeune.
- Encourager les projets de voyages où le jeune découvre de nouveaux horizons.
- Établir la confiance avant tout, la priorité des priorités.
- Privilégier la parole aux médicaments pour faire face à la souffrance du jeune durant sa mue.
- Communiquer beaucoup d’amour inconditionnel et de la compréhension pour la souffrance du jeune durant ce passage obligé.
- Communiquer des limites claires aux pulsions : interdit d’agresser, de voler, de tuer, etc.
- Favoriser l’expression saine de l’agressivité dans des activités énergiques. (Ex. : les arts martiaux).
En conclusion, disons que le jeune vit à l’adolescence une rupture féconde avec sa famille en transformant le lien établi dans l’enfance. Les parents ne sont plus perçus comme des absolus. Le jeune doit couper dans le vif pour se libérer de ses attaches familiales. Il s’agit là d’une initiation souffrante à sa condition humaine, une orageuse révolution ! Mais il naît graduellement à la vie, la vraie vie en vivant cette recherche identitaire profonde qui l’aide à se définir comme sujet de son désir.
Par Jocelyne Petit, Docteure en Sciences de l’Éducation.
Références
(1) Françoise Dolto, La cause des adolescents, Éditions Robert Laffont, 1988.
(2) Françoise Dolto, Catherine Dolto, Colette Percheminier, Paroles pour adolescents ou le complexe du homard, Éditions Gallimard Jeunesse Giboulées, 2018.