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Les troubles anxieux chez les enfants : comment les prévenir? Comment accompagner?
De nos jours, un nombre important d’enfants sont conduits en consultation médicale ou psychologique pour traiter des désordres liés à l’anxiété. Ce nombre augmente constamment alors que leur moyenne d’âge baisse de plus en plus, nous dit Louise Reid (1). Des troubles de panique sont diagnostiqués chez des enfants de 7 et 8 ans, et des phobies sont identifiées dès l’âge de 6 ans.
L’anxiété est en fait une inquiétude, peu importe l’ampleur. Et l’inquiétude se définit comme la crainte d’un danger réel ou appréhendé. L’inquiétude engendre une propension au tourment et aux soucis de tout ordre. Dans sa plus simple expression, l’inquiétude s’apparente à la peur nous dit Louise Reid. Or, l’inquiétude est innée chez l’être humain et nous composons donc avec l’anxiété à chacune des étapes de la vie. Et la peur est partie intégrante de l’instinct de survie, nous dit l’auteure; c’est un mécanisme d’adaptation.
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L’anxiété est une réaction de peur, mais une réaction de peur exagérée. La peur est utile pour nous aviser d’un danger réel. Mais l’anxiété est une réponse à une impression de danger et cela, même si la menace n’est pas réellement présente. Le corps réagit comme si le danger était réel. L’imagination vient jouer des tours au corps. Elle engendre des fantasmes grossis du danger que représente une situation donnée. L’esprit s’emballe. Il n’est pas tranquille ni serein. Comment aider les enfants à prévenir ces craintes exagérées qui font vivre de l’anxiété? Telle est la question que je me pose dans cet article en proposant une réflexion sur le corps et les sensations qu’il éprouve dans son développement de l’enfance à l’âge adulte. Des pistes d’intervention sont suggérées pour aider les parents à accompagner leur enfant qui vit de l’anxiété.
Différentes sensations et sentiments en lien avec l’anxiété
Dans la construction de son identité corporelle, chaque individu éprouve des sensations qui sont en fait fondatrices de son identité. En voici quelques-unes :
La sensation d’identité
La sensation d’identité nous permet de nous connecter à nos différents besoins et désirs. Nous connecter à notre corps et avoir la sensation d’être quelqu’un. La sensation d’exister comme entité distincte des autres se développe graduellement tout au long de la croissance. Dès le plus jeune âge, il est important de soutenir l’enfant pour qu’il prenne conscience de son corps par des touchers affectueux, des massages, des chatouilles, des caresses, des bisous, des câlins, etc. Des jeux où l’on identifie les différentes parties du corps, où l’on chante et danse aident l’enfant à développer la sensation d’identité si importante. Lorsque l’enfant est anxieux, il n’est plus connecté à son corps. Les messages qu’il reçoit de son corps sont déstabilisants. Il ne sait plus sur quel pied danser. En fait, il perd pied. Il faut l’aider à se reconnecter à son corps en l’apaisant avec une attitude rassurante et un toucher affectueux pour le réconforter.
La sensation de solidité
L’enfant a besoin de points de repères stables et solides. Ce sont là ses points d’ancrage dans la réalité. Pour qu’il prenne une prise solide à la terre, il a besoin de sentir des attaches solides et fermes, de se sentir désiré et bienvenu en ce monde. Ses liens d’attachement avec les personnes qui en prennent soin construiront ses premiers points d’ancrage. L’amour qu’il ressent dans ces liens vient le rassurer et lui donner le goût de vivre et de se développer. Plus son environnement physique est stable, plus c’est facile pour lui de se poser et de ressentir le confort. Quand l’enfant est inquiet, il ne jouit pas de ce confort. Le rassurer par notre présence aimante peut l’aider à ressentir la solidité de ses amarres et calmer la tempête qu’il a vécue.
La sensation de vide et de manque
La sensation de vide crée beaucoup d’anxiété chez l’enfant. Cette sensation est à apprivoiser car elle fait partie du développement humain. Elle est même structurante pour l’identité. Elle se manifeste dans une sensation de solitude, une peur de l’abandon. Mais elle est une expérience nécessaire à l’individualisation et à l’accès à l’autonomie. Ce sont là les buts de l’éducation de l’enfant. Cette sensation de manque permet le mouvement comme dans le jeu de pousse-pousse où, à partir d’une case vide, on peut bouger les pièces pour jouer le jeu et former une séquence qui prend sens. La recherche identitaire de l’enfant s’amorce avec cette sensation de vide qui l’amènera à se mouvoir vers des horizons toujours plus larges pour se réaliser comme personne, en développant son potentiel. Il faut aider l’enfant à apprivoiser le manque et à ne pas paniquer devant cette réalité corporelle. Il est seul dans ce corps mais il a des attaches solides qui l’aident dans son cheminement. L’enfant nourrit souvent la fausse croyance que la solitude égale le vide total. Ainsi, laisser l’enfant vivre des moments calmes de solitude l’aide à apprivoiser le manque et à développer ses propres ressources internes d’automaternage et d’autopaternage. Car, pour sortir de la symbiose et de la fusion qui caractérisent sa première position existentielle, il a besoin de croire en lui et de croire en ses ressources pour faire face à la vie. Pour traverser les vicissitudes de la vie, avec son positif et son négatif, il a besoin d’outils essentiels comme celui de ressentir le manque sans tomber dans le vide existentiel et sans penser que le monde s’écroule. La sensation de manque doit encourager l’enfant à s’investir dans le monde réel à la maison comme à l’école pour le combler avec sa créativité.
La sensation de frustration
La sensation de frustration est aussi structurante et fondatrice de l’identité de l’enfant. Il faut contrer la fausse croyance comme quoi la vie doit TOUJOURS être belle et nous procurer du plaisir. Tôt ou tard, il faudra apprendre à composer avec les frustrations que la vie nous fait vivre en ne répondant pas exactement à tous nos besoins et désirs. Il ne faut donc pas, pour aider l’enfant anxieux, éviter les frustrations mais plutôt l’aider à y faire face car telle est la réalité. Éviter donc de surprotéger l’enfant en tentant de lui épargner tout inconfort, toute frustration et tout échec. Surprotégé, l’enfant troque la légèreté pour l’anxiété.
La sensation des limites
Pour avoir un contact solide avec la réalité, il est important de développer le sens des limites. Ainsi, l’encadrement des parents se doit d’être ferme, strict, rigide (mais pas trop), constant avec des limites claires qui déterminent ce qui est permis et ce qui ne l’est pas pour la sécurité de l’enfant et son bien-être. Or, la conscience des limites se développe avec les frustrations que l’enfant vit. Éviter toute frustration n’est donc pas souhaitable puisque la réalité en comporte un bon lot avec lequel il faut apprendre à vivre avec ces frustrations. Éviter le perfectionnisme « sans limites » qui transmet un message à l’enfant qu’il faut être parfait et très performant pour avoir une place en ce monde et que l’on n’a pas le droit à l’erreur. (Voir l’article publié dans Vie de Parents « Le perfectionnisme, qualité ou défaut? »).
La sensation d’estime de soi
L’enfant développe peu à peu son estime de soi en se fondant sur le regard de l’autre porté sur lui. Ainsi, tous les commentaires des parents sur les réalisations de l’enfant ont de l’importance. Le regard que posent les parents sur leur enfant vient le consolider dans la place qu’il a en ce monde. (Voir l’article publié dans Vie de Parents « L’estime de soi : un trésor à transmettre de génération en génération »).
La sensation de sécurité
Allant de pair avec la sensation de solidité, la sensation de sécurité est accentuée par un encadrement clair et ferme. La présence rassurante et chaleureuse des parents amène l’enfant à développer son intériorité et à se sentir en sécurité parce qu’il est bien protégé et qu’il reçoit de bons soins nourriciers. Diversifier les ressources autour de l’enfant qui lui procurent ce sentiment est aidant. Éviter, par exemple, que ce soit juste la mère qui se présente comme un repère et un ancrage. Ouvrir la porte à d’autres personnes significatives. La sensation de sécurité ainsi développée dans un contexte élargi vient atténuer les peurs que l’enfant peut éprouver et diminuer donc son anxiété.
La sensation d’amour
La sensation d’amour se développe dans les liens d’attachement que l’enfant tisse avec les personnes qui lui prodiguent des soins. Par la proximité et la présence, par les contacts physiques chaleureux, cette sensation est éprouvée et fait un écran protecteur face aux peurs, à l’inquiétude, à l’anxiété.
La sensation de pouvoir face à la vie
Peu à peu, avec l’accompagnement de ses parents et des personnes significatives pour l’enfant, la sensation de pouvoir se développe. Cette sensation soutient la capacité d’affronter la vie avec toutes ses limites et ses possibilités. La sensation de pouvoir permet à l’enfant de maîtriser ses émotions dont la peur. Elle lui permet de prendre une distance face à ses émotions au lieu d’en être envahi. Une emprise directe sur son monde pulsionnel s’accroit. Il faut l’y encourager pour vaincre ses peurs et prendre le dessus sur son anxiété. C’est en développant toujours plus son autonomie que l’enfant se détache peu à peu du lien primaire fusionnel qu’il établit avec ses parents. Il sort de la symbiose pour devenir un être séparé, unique, différencié de ses semblables. Le recours à ses ressources rationnelles et à sa logique l’aide dans ce cheminement pour affronter ses peurs et les maîtriser. Plus le parent favorise le raisonnement de l’enfant dans ses interventions, plus la sensation de pouvoir se déploie.
Se sortir de l’anxiété
Pour se sortir de l’anxiété, il faut se ramener à l’observation attentive de la réalité concrète. Dégonfler les fantasmes où l’esprit s’emballe. Les circonscrire en leur donnant les limites de la réalité. Faire appel à la capacité de raisonnement et de logique de l’enfant en discutant avec lui, en verbalisant ses peurs. Faire appel à l’imaginaire de l’enfant pour qu’il sente qu’il a le pouvoir de vaincre ses peurs et ses monstres (ex. : attaquer les fantômes avec sa cape de super-héros ou avec son épée invisible).
Symboliser le problème et envisager une résolution où le problème disparaît est aidant. Louise Reid suggère à l’enfant de dessiner ses peurs, de les mettre dans une enveloppe cachetée et de s’en débarrasser ensuite. Avec l’enfant plus vieux, elle suggère l’imagerie mentale ou la visualisation pour voir ses peurs reconnues pour ensuite s’en défaire en reprenant le pouvoir sur la situation. La verbalisation aide en utilisant des mots qui sont en soi des symboles. Le jeu libre de l’enfant lui permet aussi d’utiliser son imaginaire pour jouer ses peurs et les transcender. D’où l’importance d’accorder à l’enfant ces temps d’expression créative et ces temps de rencontres humaines ressourcantes et supportantes.
Par Jocelyne Petit, Docteure en Sciences de l’Éducation
Références
- Louise Reid, Guérir l’anxiété de nos enfants sans médicament ni thérapie, Éditions Québec-livres, 2017
- L’anxiété chez l’enfant, Équipe de la revue Naître et grandir, janvier 2023