ARTICLE
Peut-on être trop bienveillant?
Plusieurs comportements et attitudes des adultes peuvent être interprétés comme étant de « la bienveillance ». À tout le moins, c’est ce que désirent les adultes !
- Créer pour l’enfant un monde bienheureux exempt de frustrations.
- Chercher à combler tous les désirs de l’enfant.
- Faire en sorte que l’enfant ne sente jamais de manque.
- Donner de l’attention d’une manière où l’enfant se perçoit comme « le centre de l’univers ».
- Se soucier du moindre soubresaut émotif et questionner l’enfant pour le rassurer.
- Laisser les pleurnicheries prendre « toute la place ».
- Dire « oui » toujours pour ne pas décevoir.
- Se montrer très permissif et très doux en toutes occasions.
- Ne communiquer aucune limite ni interdit.
- Céder devant une crise de l’enfant et lui accorder ce qu’il demande pour le calmer.
- Surprotéger l’enfant en faisant pour lui ce qu’il peut faire par lui-même. Faire « tout » pour lui. Le couver.
- Adopter un ton doucereux pour reprendre l’enfant lorsqu’il est fautif.
- Combler l’enfant de cadeaux, privilèges, surprises, gâteries de tous genres.
- S’oublier et se mettre en permanence au service de l’enfant.
- Sacrifier ses propres besoins et désirs au profit de ceux de l’enfant.
- Sur-réagir à la moindre émotion négative de l’enfant pour l’en préserver.
- Se laisser « monter sur le dos ».
- Faire en sorte que l’enfant gagne tout le temps, que ce soit dans les jeux ou dans la vraie vie.
- Donner à l’enfant le sentiment qu’il est « tout » dans notre vie.
Or, la bienveillance n’est pas un oubli de soi. Elle ne représente pas une attitude de trop grande douceur ni de trop grande indulgence qui empêchent l’adulte de communiquer des limites claires. Quand on a vécu un manque souffrant dans l’enfance, on peut être porté à en faire trop pour nos enfants, pour leur éviter de ressentir ce manque justement. Chaque être humain, grand ou petit, a besoin un moment donné de quitter la position fusionnelle de la symbiose pour se mettre en route pour identifier par lui-même ses désirs et commencer à les combler, en développant par le fait même ses propres ressources. Le mouvement de la vie-en-soi nous oriente tous en ce sens pour vivre, quand on est prêt, une autre position relationnelle où on constate qu’on n’est pas « le nombril du monde », que « Tout ne tourne pas autour de nous seuls ». Nous prenons alors conscience de la distance entre soi et l’autre et percevons que c’est très bien ainsi! On devient alors un être différencié, séparé de l’autre ressentant une sensation d’Unité dans le corps, une sensation de cohésion interne, bref, une sensation d’identité qui nous permet de nous relier à l’autre dans le respect des limites.
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Tôt ou tard, l’enfant doit comprendre que la présence n’est pas vouée à lui seul. Il est alors livré à lui-même et peut ainsi apprendre à se donner à lui-même de la présence. Il peut apprendre à agir pour lui, par lui-même. Ne trouvez-vous pas que ça ressemble à la définition de l’autonomie? Et l’autonomie n’est-elle pas le but de l’éducation?
Lorsqu’on cherche à éviter que l’enfant ressente cette limite , on finit par satisfaire tous ses désirs et à en faire un enfant exigeant, « gâté ». On ne parle plus alors de bienveillance ! On parle de trop grande permissivité….de manque de limites… La bienveillance se situe dans le « juste milieu » avec une attitude d’accueil combinée à une attitude où les limites sont clairement communiquées.
Des conséquences possibles observables
- L’enfant demande « Tout » sans limites, tout le temps. Il n’y a plus de place pour personne d’autre.
- L’enfant prend « Tout » et l’énergie vitale de l’autre se vide.
- L’enfant manque d’initiative. Comme son désir est comblé totalement et sans limites, il ne se déplace pas par lui-même en lien avec son désir propre et sa petite voix intérieure. Il demande constamment la présence de l’autre. Il demeure dans la fusion et la symbiose.
- Il manque d’autonomie. Il s’attend à ce que l’autre comble son désir tout le temps. Il fait une demande démesurée d’attention. Cette demande n’a pas de fin. En un sens, en sa présence, on peut se sentir « siphonné ». (Voir l’article paru dans Vie de Parents « Rendre nos enfants autonomes et responsables, est-ce possible ? »
- Quand il rencontre des limites quelconques, il peut faire une crise, pleurnicher, se montrer désagréable et exigeant.
- Il devient difficile à endurer pour les autres à cause de son exigence que tout le monde perçoit et face à laquelle tout le monde ne peut répondre « présent » car c’est « trop demander »! C’est épuisant! C’est vidant! C’est désagréable! Et déplaisant !
- Il demande souvent qu’on fasse pour lui des choses et même si on acquiesce à sa demande, il n’est pas satisfait. Il demande encore et encore…Car sa demande est totale! Il n’y a pas ce retour sur lui-même pour intérioriser la présence de l’autre et devenir plus autonome.
- Le faire garder peut être difficile car il est très demandant pour les autres et cela se voit.
- Il ne perçoit pas les limites de l’autre clairement et les dépasse constamment.
Donc, en conclusion, établir dès le début des limites claires à la demande totale de l’enfant l’aide à devenir sujet de son désir et créatif dans la construction de son monde à lui.
Par Jocelyne Petit, Docteure en Sciences de l’Éducation
Références
Jocelyne Petit dans Vie de Parents, Être un modèle de bienveillance pour nos enfants.
Jocelyne Petit dans Vie de Parents La bienveillance, est-ce pour tous les enfants?