J’ai été une enfant exceptionnellement raisonnable, une élève irréprochable, toujours à l’heure, les devoirs bien faits, les cheveux bien tressés, l’uniforme bien repassé, jamais au lit trop tard, jamais pris un autre chemin de retour que celui qui m’avait été enseigné.
Mais je ne suis pas une mère raisonnable. À partir de la seconde où la deuxième petite ligne bleue est apparue sur le test de grossesse que j’avais fait un dimanche soir vers 22h30 dans le sous-sol de notre petit appartement à Verdun, à partir de cette seconde, les choses ont basculé et mon cœur de femme est devenu cœur de maman. Ma vie de femme s’est envolée et a pris au passage ma raison, celle qui m’habitait depuis toujours. Mes mains tremblantes et mes palpitations dans la poitrine m’avertissaient que plus jamais mon corps et mon esprit ne m’appartiendraient totalement, parce qu’ils vivraient à travers ce petit être qui se multipliait déjà à la vitesse de la lumière, pendant que moi je versais des larmes de bonheur, les paumes de mes mains pressées sur mon petit ventre, qui lui aussi s’apprêtait à changer pour toujours.
La seconde où mon premier enfant est sorti de mes entrailles, la seconde où, à travers les lumières tamisées de ma petite chambre d’hôpital, mes yeux embrouillés se sont posés sur ce petit bonhomme de six livres au visage en cœur et au duvet blond, j’ai perdu la raison. Celle qui aurait pu me permettre de laisser mon bébé pleurer un tout petit peu pour sa tétée, le temps d’avaler quelque chose à manger, le temps de deux gorgées d’eau. Celle qui aurait pu me permettre de joindre des cours d’activités physiques les avant-midis avec mes copines et leurs bébés, au lieu de rester allongée sur mon lit, à frôler des heures durant, chaque centimètre de cette peau vierge, de ce corps qui grandissait à vue d’œil. Celle qui m’aurait permise de retourner au travail reprendre ce que j’aimais autrefois faire, qui était devenu comme du sable entre mes doigts, de la poussière dans un désert, inutile et sans pertinence. Celle qui m’aurait empêchée de pratiquement brûler les six feux rouges chaque soir de semaine, ceux qui me séparaient de mon garçon qui occupait ses journées loin de moi, pendant ces mois où j’ai dû reprendre le boulot et le confier à quelqu’un d’autre, à quelqu’un à qui je laissais mon cœur et mon souffle du lundi au vendredi.
J’ai perdu la raison qui aurait pu me permettre de me reposer la nuit quand mes enfants sont malades, pour avoir des forces le lendemain. À la place, je passe mes nuits l’oreille tendue, et mes yeux grands ouverts au moindre gémissement, au moindre toussotement. J’ai quitté mon emploi pour donner chacune des secondes de ma vie aux deux petits créatures qui m’appellent maman depuis maintenant trois ans. J’ai troqué ma vie professionnelle, ma vie de collègue, en partie ma vie d’amie, trop souvent ma vie d’épouse, pour celle de maman, mais je. Ne. Regrette. Rien. Je ne regrette pas une seule minute cette décision de leur donner tout ce que j’ai, tout ce que je suis, pour leur faire vivre une vie d’enfant comme celle que j’imaginais toute petite, quand je coupais des visages dans les magazines de ma mère, et que je montais de toutes pièces des familles que je faisais vivre entre les lignes de mes cahiers canada (jamais pendant les heures de cours).
Je ne suis pas une mère raisonnable car trop souvent, je ne sais pas où poser mes mains lorsqu’il m’arrive de marcher toute seule. Je cherche une petite main à serrer ou une poignée de poussette à agripper. Car il m’arrive parfois de croiser mon reflet dans un miroir, dans la vitre de la bibliothèque ou dans la fenêtre de ma voiture, et de réaliser que j’ai quitté la maison avec une allure plus ou moins présentable. Car le soir, au lieu de prendre le temps d’écrire, activité qui fait intrinsèquement partie de moi et qui m’aide depuis toute petite à évacuer le trop plein d’imagination qui trotte entre mes oreilles et qui m’empêche de dormir, je préfère m’asseoir près de leur porte de chambre, et les écouter papoter, ou même d’entrouvrir la porte de leur chambre, et de les regarder dormir paisiblement, un nœud dans la gorge.
Je ne suis pas une mère raisonnable car les anniversaires m’angoissent, le temps qui passe me tord l’estomac, car chaque fois que je dois ranger leurs petits pantalons qui leur montent par-dessus les chevilles ou leurs souliers qui leur retroussent les orteils, j’ai mal. J’ai peur du temps qui passe. Je veux être là pour chacun de leurs chagrins et chacun de leurs éclats de rire. Pour répondre à chacun de leur pourquoi, et être dans leur champ de vision chaque fois qu’ils me cherchent.
Je ne suis pas une mère raisonnable, je ne suis pas la mère équilibrée avec les ongles impeccables et le corps sculpté, celle qui donne rendez-vous à ses copines tous les jeudis pour aller souper, que leurs enfants soient enrhumés ou non, qu’ils crient son nom quand elle passe la porte ou non. Je ne suis pas une mère raisonnable mais je suis une mère heureuse. Heureuse d’un bonheur indescriptible, qui m’agrippe dans les moments les plus banals, heureuse parce que la maternité a rempli d’étincelles mes veines, elle continue à me donner des rides et des cheveux blancs, mais je n’échangerais pour rien au monde les peintures accrochées sur notre réfrigérateur, les collations à moitié finies dans mon sac à couches, les souliers pleins de sable dans l’entrée de la maison, les taches sur les petits vêtements étendus dans notre salle de lavage.
Je fais ce que les fibres de mon corps m’appellent à faire, à la manière qui me permet de m’endormir le soir avec fierté. N’est-ce pas là tout le sens de cette vie qui nous file entre les doigts.
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