Ce sentiment que nous avons dû apprivoiser jeunes. Qui nous suit comme une ombre, avec lequel nous apprenons à jongler quotidiennement. La honte de ces courbes qui poussent souvent trop vite, avant même que nous ne soyons en mesure de comprendre ce qu’elles impliquent. La honte d’une tache de sang sur une jupe d’école, que l’on se presse de nettoyer et de camoufler dans le lavabo d’une salle de bain publique, les joues écarlates et les yeux cloués sur ses petites mains d’enfant qui s’empressent de faire disparaître maladroitement ce qui arrive trop tôt dans leur vie. La honte de se sentir fille mais d’avoir l’air femme, et de devoir prématurément se comporter en conséquence. La honte de se faire regarder, dévisager, siffler, lancer des remarques gênantes alors que l’on marche sur un trottoir seule, l’envie de vouloir devenir invisible pour se permettre de porter une robe d’été sans avoir peur, sans s’inquiéter, sans se demander si c’est un choix prudent, approprié.
La honte de commentaires murmurés parce que l’on est trop mince, trop ronde, parce que l’on porte des souliers à talons trop hauts, qui font trop de bruit. La honte que l’on ressent parce que l’on fait quelque chose qui sort du lot, parce que l’on est un mouton noir, parce que l’on affiche ses couleurs. La honte de s’exprimer trop fort, trop vite, ou pas assez, dans un milieu de travail où tous nos gestes sont décortiqués, ou un faux-pas pourrait nous étiqueter. La honte d’avoir une poitrine forte sous sa chemise de travail, ou une jupe qui laisse deviner l’épaisseur de ses cuisses, se sentir provocatrice alors que l’on tentait de passer inaperçu. La honte de sentir le début de ses règles en pleine réunion, et ne pas broncher en essayant de se rappeler de quelle couleur est la chaise sur laquelle nous sommes assises. La honte d’une grossesse qui nous rend souvent malade. La honte de nos nausées, de nos retards matinaux quotidiens parce que nous avons dû nous arrêter plusieurs fois en chemin pour vomir dans un sac en plastique ou dans une poubelle de métro. La honte de nos seins qui prennent une ampleur démesurée, avant même que notre ventre les rattrape. La honte de devoir annoncer la nouvelle à une équipe, composée de gens qui seront déçus, froissés d’apprendre notre départ. Qui prendront cette annonce comme une attaque personnelle. La honte de devoir refuser une promotion, parce que la parentalité ne nous permet plus de mettre les bouchées doubles. La honte de devoir couper court une réunion parce que la garderie ferme bientôt et qu’il faut courir jusqu’à sa voiture en brûlant les feux rouges pour se retrouver face à face avec cette honte de nouveau, alors que toutes les lumières des petits locaux vides sont éteintes, les planchers fraîchement lavés, les petites chaises sur les tables, toutes sauf celle de notre enfant, qui nous attend le visage fatigué, le regard de l’éducatrice que l’on évite, pour ne pas être confrontée à cette honte d’être la dernière arrivée.
La honte d’allaiter en public quand on sent que ce n’est pas le bon moment, le bon public, mais que notre poupon hurle et que notre chandail se trempe parce que nos canaux mammaires et ses pleurs sont connectés. La honte de ne plus rentrer dans nos jeans. La honte de devoir s’en débarrasser des années plus tard parce que nos hanches ne seront plus jamais ce qu’elles ont été. La honte de nos vergetures et de notre peau toute flétrie à la plage, au chalet devant famille et amis. La honte de ces ombres sous nos yeux, qui témoignent de toutes les nuits passées à regarder le jour se lever, dans une chaise berçante, pendant qu’un bébé dort dans le creux de nos bras, nulle part ailleurs.
La honte de notre silhouette molle alors que dans un élan de courage on entre dans un gymnase, parmi les corps fermes et les muscles définis, et que l’on essaie de courir sur un tapis, s’enfuir de cette honte, lui tourner le dos à coups de vélos stationnaires. Personne n’a vécu l’épuisement comme une mère dans un cours de spinning post-partum, avec un bébé qui la fixe sur une petite couverte sur le plancher, qui se demande si les points noirs qu’elle voit apparaître sont dû au fait qu’elle n’a pas dormi depuis des mois, qu’elle a oublié de manger ce matin, ou parce que le banc du vélo entres ses jambes lui rappelle que son plancher pelvien ne sera plus jamais le même, et que son accouchement est moins loin derrière que ce qu’elle se faisait accroire.
La honte d’ouvrir son cellulaire au parc, celle d’un souper à la pizza parce que les enfants ne mangeraient rien d’autre de toute façon. La honte de travailler trop, celle qui nous fait manquer des spectacles ou des parties de soccer, celle d’être une mère la maison qui se fait vivre par son conjoint. La honte d’une mère qui se fait pointer du doigt parce qu’elle est dans un 5 à 7, parce qu’elle part en voyage seule. Celle d’une femme qui réalise qu’elle doit quitter, celle qui part, celle qui prend la décision la plus déchirante de sa vie et qui devra encaisser le poids du jugement aux fêtes d’anniversaire, aux rencontres de parents, aux activités parascolaires.
La honte de la femme qui tient à un fil, qui multiplie les retards aux rendez-vous, qui n’a plus le temps de camoufler ses cheveux gris, qui doit s’excuser auprès du professeur, de la directrice, de ses clients, de son superviseur, des ressources humaines.
La liste est longue, trop longue, pour énumérer tous les moments dans la vie d’une femme où elle doit se faire pardonner, se justifier, être polie, jolie, et se taire. Paradoxalement, je ne pense réellement pas qu’il n’y ait sur cette terre quelque chose de plus beau, de plus magique et puissant qu’une femme. Elles créent la vie, elles la tricotent, sont capables d’extrême douceur et de rugissements à la fois. Je nous souhaite, femmes d’aujourd’hui et de demain, d’être conscientes de cette honte qui nous a tellement retenues, tellement tu, et de l’enterrer six pieds sous terre. Débarrassons-nous cette honte qui se tient entre le potentiel inimaginable des femmes, et tout ce qui n’a pas été dit, pas été fait, par peur de celle-ci. Femmes d’aujourd’hui et de demain, unissons pour chasser cette honte une fois pour toute. Ne la laissons plus nous suivre ni nous guider, ni maintenant, ni jamais.
Par La plume d’Andrée-Anne - 2 août 2020
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