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Tomber en amour avec son parent : est-ce normal?
La psychanalyse nomme ce phénomène fréquemment observé chez les enfants « le complexe d’Œdipe ». Il s’agit là d’une étape normale du développement psycho-sexuel qui demande toutefois une intervention réfléchie de la part des parents.
La construction de l’identité sexuelle
On situe généralement le complexe d’Œdipe vers 3 à 6 ans mais parfois on peut l’observer un peu plus tard. L’enfant projette alors un désir d’unité avec le parent du sexe opposé qui peut être accompagné d’une rivalité envers le parent du même sexe. Au moment où l’enfant prend conscience des différences sexuelles et qu’il découvre son appartenance à un sexe, il peut vivre une attirance intense envers le parent du sexe opposé en vivant des pulsions incestueuses. Il désire alors entretenir un rapport amoureux et voluptueux avec ce parent différent de lui, qui lui reflète une image achevée de lui-même et qui représente un modèle pour devenir adulte. Cette expérience est cruciale dans la construction de sa personnalité et de son identité sexuelle. Un désir de fusion se manifeste. Une projection amoureuse s’extériorise dans des comportements de séduction. Pour l’enfant, le parent est « Tout » ce qu’il désire. « Je veux me marier avec toi et avoir des bébés avec toi! » exprime en paroles ce désir incestueux.
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Des comportements observables durant cette étape de développement
Plusieurs comportements adoptés par l’enfant dévoilent son pouvoir de séduction :
- Demander fréquemment des câlins
- Demander ou démontrer des signes de tendresse et d’affection intenses
- Être plus possessif
- Tenter de s’immiscer dans l’intimité sexuelle de ses parents
- Tenter de séparer ses parents qui s’embrassent
- Faire du charme à son parent
- Se blottir dans les bras du parent
- S’asseoir sur les genoux du parent et se coller
- Adopter des comportements de coquetterie
- Démontrer des signes de jalousie envers le parent du même sexe
- Démontrer de l’agressivité envers le parent du même sexe
- Se montrer dépendant du parent du sexe opposé
Le processus d’humanisation vécu
En vivant cette étape de développement où tout le désir de l’enfant est projeté à l’extérieur de lui-même sur son parent, l’enfant vit un processus d’humanisation que l’intervention des parents viendra appuyer. L’enfant doit comprendre que cette projection du désir n’est pas réalisable et qu’il y a un interdit de l’inceste à ne pas transgresser. En recevant une limite claire, l’enfant réorientera son désir en prenant le chemin de la famille aux autres. Il s’ouvrira à la culture, à la socialisation, au plaisir humain sain animé d’un désir sain qui intègre la limite de l’interdit de l’inceste. Vers 6 ans, cette limite est généralement comprise et acceptée. Le complexe d’Œdipe se résout donc en amenant l’enfant dans le champ social à la recherche de ce qui comblera son désir d’unité. La transformation s’opère. L’enfant s’individualise en acceptant cette séparation claire entre lui et son parent du sexe opposé, en réalisant que cette union n’est pas possible. Le désir de l’enfant se réoriente vers l’extérieur de la famille. L’enfant renonce à son désir enfantin et devient plus mature en faisant sien l’interdit. Il devient de plus en plus un sujet qui désire en son nom propre, en-dehors de ses parents. Un processus de séparation des corps a lieu. L’enfant s’humanise et devient lui-même un être séparé de ses parents, capable de se relier sainement, en quittant peu à peu la position de dépendance fusionnelle qu’il occupait auparavant. L’intervention des parents, en communiquant l’interdit de l’inceste, aidera l’enfant à mieux maîtriser son désir et soutiendra son indépendance et son autonomie. En renonçant à son désir incestueux, l’enfant oriente ainsi son désir à l’extérieur de la famille pour le combler.
L’intervention des parents
L’Intervention des parents est fondamentale car l’enfant construit son identité à partir de ces premières relations. S’il y a ambiguïté et confusion dans le message adressé à l’enfant, ce dernier en souffrira et son processus d’humanisation en sera perturbé. L’intervention doit être chaste et ne jamais communiquer un message qui laisserait croire à l’enfant que son désir peut se réaliser et être comblé par le parent sur lequel le désir est projeté. La limite doit être claire et donnée dans un climat de dialogue, de compréhension et de bienveillance. En comprenant l’enjeu majeur qui se joue, les parents sauront adapter leur intervention. Voici quelques pistes pour aider :
- Bien comprendre la dynamique qui s’opère chez l’enfant dans le complexe d’Œdipe et l’impact que cette dynamique a sur le développement de l’enfant.
- Dire clairement la limite; « Je suis avec ton père/ta mère. Tu trouveras quelqu’un… ». Donner espoir que le désir d’unité n’est pas perdu et que d’autres relations et activités diverses sauront le combler.
- Éviter les contacts physiques trop proches qui sèment la confusion. Ex. : des baisers sur la bouche, des baisers sur les oreilles, des caresses prolongées, etc.
- Éviter d’appeler l’enfant « Mon amoureux », « Mon amoureuse », « Mon homme », « Ma femme ». Ces appellations ne soutiennent pas l’enfant dans le processus de séparation qu’il a à vivre pour quitter la fusion qui serait mortifère.
- Soutenir l’enfant dans l’affirmation de son identité comme être séparé/relié.
- Expliquer que l’amour entre les parents est différent de l’amour pour l’enfant.
- Être clairs comme parents sur sa propre jouissance en dehors de l’enfant. Éviter de projeter soi-même son désir sur l’enfant en laissant croire que la promiscuité physique et psychique est possible. Cette attitude s’avère être incestueuse.
- Éviter les surcroîts de câlins, de caresses, de corps-à-corps, les touchers incendiaires.
- Éviter de s’immiscer dans la sexualité de l’enfant en le touchant de manière douteuse, en éveillant son désir sexuel.
- Éviter de combler « Tout » de la demande de l’enfant. Plutôt relancer le moteur du désir dans la dynamique de vie ailleurs avec les autres.
- Ne pas laisser croire à l’enfant qu’il peut remplacer un parent absent.
- Valoriser les efforts d’identification sexuelle, « faire comme papa », « faire comme maman » pour solidifier l’identité fille ou garçon.
- Donner des limites claires aux comportements de séduction exagérés. Dire « Ce n’est pas acceptable! »
- Éviter les réactions émotives et l’impulsivité devant les comportements normaux de rivalité avec le parent du même sexe.
- Favoriser des activités plaisantes différentes avec les deux parents.
- Offrir des modèles d’identification masculins et féminins à l’enfant, et cela même si la famille est monoparentale.
- Poser la limite claire « Non, ce n’est pas possible avec ton parent! »
- Bien situer l’enfant à sa place dans la famille. Dire « Mon mari », « Ma femme », en parlant du parent conjoint.
- Faire très attention pour éviter tout glissement.
Par Jocelyne Petit, Docteure en Sciences de l’Éducation
Références :
Françoise Dolto, Lorsque l’enfant paraît, Éditions Seuil, 2008
Équipe Naître et grandir, L’enfant amoureux de son parent, Revue Naître et grandir, décembre 2018