ARTICLE
Les jeux de princes, princesses, chevaliers, châteaux
Les enfants apprécient de jouer avec des châteaux. Selon leurs intérêts, les jeux peuvent se traduire par des batailles de chevaliers contre des « mauvais » imaginaires, comme des monstres, des dragons, des bêtes féroces ou encore d’autres guerriers jugés « mauvais ». Les jeux peuvent aussi impliquer une vie intérieure de château où l’on vit agréablement.
Des observations des équipements de jeux pour enfants
Lorsqu’on magasine pour trouver un château à offrir à un enfant, différentes observations sont possibles. D’abord, dans les allées de jouets, on retrouve un côté « filles » et un côté « garçons ». Les équipements de châteaux sont fort différents selon le côté où ils se trouvent. En effet, du côté « filles », on retrouve des châteaux où la couleur rose domine, bien que le château de la reine des Neiges soit bleu pâle. On retrouve plusieurs princesses accompagnées parfois d’un prince, comme figurine. Une fois le château ouvert, on voit une porte à l’intérieur à ouvrir. De l’équipement pour manger, dormir, prendre un bain, etc. est fourni. L’enfant joue avec le prince et la princesse en s’adonnant à des activités intérieures. Il n’y a aucun signe de conflit. La vision est rose, il va sans dire.
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Or, du côté des garçons, il n’y a que ça : la perception du conflit à résoudre. La forteresse démontre la nécessité de se défendre du « mauvais » et de s’en protéger. L’équipement est suggéré pour faire face aux « méchants » quels qu’ils soient. Des armes variées sont intégrées au jeu : épées, lances, boucliers, casques de protection, armures, etc. Tout y est pour se mobiliser face au conflit et y faire face. Le château fort ne possède généralement pas d’intérieur. Le jeu se joue à l’extérieur des murs, le plus souvent avec des personnages figurines masculines. Les châteaux se présentent de couleurs sombres : noir, gris, gris-bleu. Ici, on joue à se défendre de l’invasion extérieure en affrontant les « méchants ». La porte est à fermer pour éviter de laisser entrer les intrus. Il n’y a pas de vie intérieure. Très peu d’équipement pour nourrir la vie, dormir, et quand il y en a, ils ne sont pas sophistiqués. Ils se présentent sous un aspect rustre. L’action se passe à l’extérieur du château fort.
Comme les observations de l’équipement de jeux nous le démontrent, il y a de grosses différences entre ce que l’on trouve du côté « filles » et ce que l’on trouve du côté « garçons ».
Côté « filles »
Couleur rose
Porte à ouvrir
Nourrir la vie à l’intérieur
Aucun conflit à gérer
Vie intérieure |
Côté « garçons »
Couleurs foncées : noir, gris, gris-bleu
Porte à fermer
Défendre la vie de l’invasion extérieure
Le conflit à gérer
Vie extérieure |
Pourtant, dans plusieurs contes où il y a des princes et des princesses, la résolution du conflit survient lorsque le masculin rencontre le féminin dans l’amour à la fin du conte. Entre-temps, plusieurs périples et péripéties sont vécus impliquant un conflit sévère entre le « bon » et le « mauvais ». Le « bon » gagne lorsque le prince et la princesse s’unissent. Une nouvelle vie commence alors.
Ces scénarios de contes sont symboliques, tout comme les jeux des enfants. Ils font référence à un cheminement que tout être humain a à vivre pour intégrer sa personnalité, construire son identité distincte, en intégrant ses racines féminines et masculines en lien avec son histoire. Quand les dimensions contraires de la personnalité s’intègrent, le conflit identitaire se résout. Mais, pour y arriver, le masculin doit travailler de concert avec le féminin pour apprendre à couper les excès des deux côtés. Dans ce que l’on observe dans les équipements de jeux de châteaux, l’excès féminin se trouve dans l’aveuglement ou la négation du conflit dans une vision « rose ». Et du côté masculin, c’est l’omniprésence du conflit dans une vision « sombre ». Alors, si on réunissait les deux polarités observées, nous pourrions offrir aux enfants un matériel de jeu où des actions contraires seraient possibles et où le masculin travaillerait en collaboration avec le féminin. Les actions conjuguées jouées seraient :
Se relier
Accueillir
Ouvrir la porte
Nourrir la vie à l’intérieur |
Se séparer
Affirmer des limites de son territoire
Fermer la porte
Défendre la vie de l’invasion extérieure, se protéger |
Concrètement parlant, ce serait une bonne idée de relier les 2 types de châteaux que l’on trouve maintenant sur le marché, en attendant une version plus moderne. Permettre ainsi aux garçons et aux filles de se retrouver, de travailler ensemble à l’élaboration de scénarios symboliques où il y aurait possibilité de couper les excès des deux côtés. Ainsi, au lieu d’exacerber les différences, on pourrait encourager plus de collaboration dans l’intégration des deux visions. Afin de réduire les coûts lors de l’achat de matériel de jeu, il est intéressant de visiter les lieux où on recycle les jouets ( centres communautaires, Village des Valeurs, etc.).
Les différents équipements mis à la disposition des enfants dans ces jeux de châteaux ont tous une fonction symbolique. Voici un résumé du sens symbolique de certains éléments de jeu tels que décrits dans un document plus officiel cité en référence. Comprendre le sens symbolique peut nous aider comme parent à mieux comprendre l’engouement des enfants pour ce type d’équipement.
Des symboles dans le jeu de l’enfant
La baguette et le bâton : Symbole de puissance, de clairvoyance, Écarte les influences néfastes, apprivoise les dragons. Soutien, défense, guide, symbole de souveraineté, de puissance et de commandement. Symbole de vitalité masculine.
Le château : Symbole de protection, de sécurité. Séparation du reste du monde. Conjonction des désirs (le prince et la princesse réunis). Conscience.
Le prince et la princesse : Symbole de pouvoir suprême. Jeunesse et rayonnement. La métamorphose par l’amour total et généreux.
Le cheval : Relier les opposés. Quête de la connaissance. Force et rapidité.
Le foyer : Symbole de la vie en commun, de l’union de l’homme et de la femme, de l’amour.
La table : Symbole du repas de communion entre les êtres.
La porte : Passage. Expulser les influences néfastes. Interdire l’entrée aux forces impures et maléfiques. Alternance du Yin et du Yang. L’homme extérieur et l’homme intérieur. Distinction dedans/dehors.
Le dragon : Symbole du mal. L’adversaire à vaincre pour avoir accès aux trésors. La puissance du dragon : la résolution des contraires. Vaincre le dragon en triomphant des tendances régressives. Maîtriser et assimiler l’ombre. Le dragon est d’abord en nous.
Le chevalier : Symbole d’un type supérieur d’humanité. Refus de la corruption ambiante. Le maître de sa monture. Maîtrise. Lutte jusqu’à la mort contre les forces du mal.
L’épée : Symbole de puissance et de bravoure. Construction de la paix en séparant le bien du mal. Symbole du combat intérieur pour la quête de connaissance. Luminosité.
Le conflit : Symbole de la réalité. Résultat des tensions opposées intérieures ou extérieures.
Le monstre : Gardien d’un trésor. Domination de la peur. Vaincre le moi inférieur pour développer le moi supérieur. Là où est le monstre est le trésor. Le monstre-en-soi à vaincre.
Le mur-la muraille : Enceinte protectrice qui clôt un monde et protège de la pénétration d’influences néfastes. Défense des frontières. Symbole de séparation.
La licorne : L’élimination de toute corruption. Symbolisme phallique. Réalisation de soi dans l’unité. Conjonction du masculin et du féminin. Symbole de puissance et de pureté.
L’animal : Couches profondes de l’inconscient et de l’instinct. La « Bête » en nous à intégrer à la vie de l’individu. Parties de soi à intégrer dans l’unité harmonisée de la personne.
En conclusion
Le jeu symbolique de l’enfant est important pour la construction de son identité. Il est recommandé de lui donner accès à des ressources variées qui lui permettent de projeter des parties de lui-même pour ensuite les intégrer à sa personnalité. Conjuguer les deux forces féminine et masculine aide à résoudre le conflit. Comme parent, plus nous sommes en phase avec l’enfant, plus nous pouvons l’accompagner en comprenant l’importance des enjeux qui se jouent au plus profond de son être. Ainsi, nous devenons moins « castrants » ou « castrantes », en évitant de couper avec une morale extérieure des jeux où l’enfant exprime des aspects de son être pourtant bien vivants.
L’image présentée ici à la fin de cet article montre bien l’ampleur de la tâche à accomplir face au « monstre ». Pour résoudre ce conflit, il nous faut, comme dans l’illustration, prendre un bon appui, les deux pieds au sol, sentant en soi la solidité et le pouvoir. La jeune fille ne semble pas intimidée. Et on dirait que son arme lui permet d’avoir confiance en sa victoire!

Par Jocelyne Petit, Docteure en Sciences de l’Éducation
Illustrations : Niko Henrichon
Référence
Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Éditions Robert Laffont/ Jupiter,1982