ARTICLE
Les jeux de guerre et de bataille
Interdire les jeux de guerre et de bataille ou les permettre? Telle est la question qu’on se pose dans cet article. Depuis que le monde est monde, des conflits non résolus ont engendré des affrontements belliqueux où la violence se manifeste. Ces conflits prennent différentes formes, selon que l’on observe la micro-réalité des familles ou la macro-réalité de la société. Violence conjugale, abus divers, guerres, etc., représentent des phénomènes qui, aujourd’hui, comme par le passé, font la une des communications sociales. De nos jours, ce sont les médias sociaux variés qui nous informent de ce qui se passe dans la société. Une chose est certaine : la violence existe et elle fait des ravages. Nous en sommes témoins à tous les jours!
Les enfants
Dés leur plus jeune âge, les enfants sont témoins d’actes violents, que ce soit dans leur famille même ou dans des images qu’ils perçoivent de la société. Ils savent que la violence existe et que des êtres humains en souffrent. De plus, la recherche du Docteur Richard E. Tremblay démontre que l’agressivité est innée (1). Elle se manifeste concrètement durant l’enfance, en atteignant un apogée entre 2 et 4 ans. Mordre, taper, pousser, etc. en sont des exemples de comportements observables. L’agressivité décline ensuite avec l’apprentissage du langage, le développement du cerveau et le développement des habiletés sociales de résolution de conflits. Intervenir dès la petite enfance pour développer ces habiletés est donc recommandé.
Publicité
Résumons
- Les adultes démontrent des comportements de violence depuis le début des temps.
- L’enfant ressent en lui une agressivité qui est innée.
- L’enfant perçoit les comportements de violence dans la société.
Est-ce que ces constats nous amènent à croire qu’il n’y a pas de solution à la violence humaine? La réponse est non! Il y a des options qui s’ouvrent à nous. Deux visions sont présentées ici.
La vision des « bonnes valeurs » à communiquer à l’enfant
Cette vision s’appuie sur la croyance qu’en empêchant les jeux guerriers et de bataille des enfants et en communiquant de « bonnes valeurs », nous pouvons atteindre un idéal de paix. Le pacifisme vient proposer des solutions non violentes pour résoudre des conflits. Alors, dès le plus jeune âge, l’intervention est orientée vers l’élimination des « mauvaises valeurs » et l’éducation à des valeurs nobles de paix, fraternité, respect, partage, etc. Ainsi, tous les fusils-jouets, épées, sabres-laser, boucliers, etc. sont proscrits dans le jeu de l’enfant. Et cela même lorsque ce dernier s’en fabrique avec n’importe quel matériel.
Les craintes des adultes adhérant à cette vision sont que si l’enfant joue la violence, la violence devient banalisée. Et elle peut donc se reproduire à outrance dans la réalité. La crainte est aussi que l’enfant pense que la guerre, « c’est correct! ». Alors que dans cette vision, la violence n’est pas acceptée d’aucune façon, on en réprime toute manifestation. L’interdit moral sera énoncé à l’enfant avec les principes qu’il soutient. Le jugement moral tombe avec fermeté de manière répétée s’il le faut. Mais le jeu devra cesser.
La vision du jeu enfantin imaginaire
Dans cette autre vision, la différence entre le jeu imaginaire de « faire semblant » de l’enfant et la réalité est cruciale. Le jeu est symbolique et, par le fait même, il ne se confond pas avec la réalité. En jouant, l’enfant n’est pas violent réellement, il « joue » la violence. Soit qu’il exprime une composante de sa personnalité intime, selon ce que le Docteur Richard E. Tremblay laisse entendre. Soit il joue la violence pour exprimer des angoisses diverses reliées à des expériences vécues ou vues dans la réalité, avec sa famille, à la garderie, à l’école, dans les médias, etc. Comme la violence est présente dans la société, encore plus lorsque la guerre est vécue, l’enfant n’est pas à l’abri. Il la voit, la ressent et en est touché profondément. Comment peut-il « digérer » cette violence ressentie en lui et dans les relations sociales? Par quels moyens l’enfant exprime-t-il et digère-t-il ce qu’il vit? Par le jeu, bien évidemment! Le jeu reflète la réalité ressentie par l’enfant avec des sentiments de grande intensité.
Alors, on verra l’enfant s’intéresser particulièrement aux jeux de guerre et de bataille (on ne parle pas ici des jeux vidéo). Il choisira des objets de jeu qui lui inspirent le pouvoir qui sont tranchants ou percutants. Il pourra ainsi jouer à éliminer le « mauvais ». Épées, fusils-jouets, sabres laser, bâtons, boucliers, etc. seront des équipements recherchés pour livrer cette bataille. Il apprend de ce fait à intérioriser et à gérer son agressivité. Il apprend le contrôle de soi en ne touchant pas l’autre trop fort, en respectant la règle de « ne pas faire mal pour vrai », en respectant les limites.
Des observations sur les jeux de guerre et de bataille
Selon les tenants de cette deuxième vision, des observations démontrent qu’en s’adonnant à des jeux de guerre et de bataille, des effets positifs sont possibles qui peuvent être encourageants pour résoudre à plus long terme le problème de la violence.
- L’enfant devient plus habile à gérer les conflits
- L’enfant développe son intelligence émotionnelle et sociale
- L’enfant développe un équilibre psychologique en intégrant positivement la composante d’agressivité
- L’enfant développe son empathie en considérant les limites de l’autre, en y étant sensible
- L’enfant développe son imagination
- L’enfant développe une attention à ses sensations corporelles : plaisir/déplaisir, confort/inconfort, bien-être/malaise, etc.
- L’enfant apprend à contrôler ses impulsions et ses émotions
- L’enfant apprend à gérer ses angoisses
- L’enfant apprend à mettre le pied sur le frein pour ne pas faire mal à l’autre. Il développe son inhibition
- L’enfant apprend à établir la connexion avec l’agressivité en apprenant à ne pas dépasser les limites pour enfin triompher sur son agressivité
- L’enfant surmonte son sentiment d’impuissance
- L’enfant développe son identité en définissant sa place parmi ses semblables
Observations lors d’un jeu sain
- L’enfant exprime son plaisir. Il sourit
- L’enfant se contrôle pour ne pas blesser personne
- L’enfant respecte les règles établies (Dans tel espace sécuritaire, interdit de faire mal, pour telle durée, arrêt immédiat devant un non d’un partenaire)
- S’il y a des blessures, elles sont non intentionnelles
- Aucune rancune n’est observable à la fin du jeu entre les partenaires
- Les armes utilisées sont sécuritaires (ni pointues, ni trop dures)
Si ces éléments ne sont pas observables, il y a lieu d’arrêter le jeu ou de prendre une pause pour recadrer le jeu et rappeler les règles.
En conclusion
Depuis que le monde est monde, les enfants jouent à des jeux de guerre et de bataille, en notre présence ou en cachette. Le font-ils parce qu’ils observent la violence omniprésente dans la réalité? Ou sentent-ils en eux-mêmes une pulsion d’agressivité qui a besoin de s’exprimer pour s’intégrer positivement dans la personnalité? Chose certaine, nous ne pouvons demander aux enfants de créer à eux seuls un monde de paix. Ils ne peuvent être tenus responsables pour la paix dans le monde! Nous aurons à nous impliquer comme adultes pour proposer davantage de modèles vivants d’intégration de l’agressivité et de résolution de conflits. Nous pouvons nous poser une question essentielle : Est-ce que la projection de nos craintes face à la violence et la projection de notre idéal de paix éduquent l’enfant? Est-ce que ces projections l’aident à mieux gérer son agressivité? Parce que si nous éveillons la peur et la honte de l’enfant, cela peut engendrer le rejet d’une dimension de son être et de son histoire comme humain ! Il est souhaitable parfois de se repositionner pour être en phase avec l’enfant en comprenant mieux son monde intérieur et son monde imaginaire.
Par Jocelyne Petit, Docteure en Sciences de l’Éducation
Références
- Richard E. Tremblay, Aux origines de l’agression : la violence de l’agneau, Documentaire télévisé, 2005
Équipe Naître et grandir, revue Naître et grandir, Les jeux de guerre, Septembre 2021
Équipe Naître et grandir, revue Naître et grandir, Les jeux de bataille, avril 2021