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La jalousie au coeur des conflits
Dans les contes comme dans la vraie vie, la jalousie se situe au cœur des conflits. Elle exacerbe les tensions et provoque des abus qui peuvent être très graves. Dans le conte de Blanche-Neige, par exemple, la jalousie de la belle-mère envers la jeune fille est telle qu’elle engendre des idées de mort : tuer Blanche-Neige pour ne plus avoir à souffrir la comparaison avec elle et la dévalorisation de soi. Aussi, dans la vraie vie, la jalousie est source de conflits. Désirer ardemment ce que l’autre a et ce dont il jouit, lui arracher des mains ou faire en sorte qu’il n’exhibe plus ainsi son plaisir représentent des attitudes et comportements courants. On a qu’à observer le jeu des jeunes enfants pour s’en convaincre. Que faire pour gérer ces situations où la jalousie détermine des rapports de compétition et d’agressivité ? Nous allons d’abord tenter de comprendre le problème causé par la jalousie pour ensuite se demander comment se sortir de la jalousie ?
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Comprendre le problème causé par la jalousie
La jalousie provient du sentiment imaginaire d’une moindre valeur comparée à une valeur idéalisée « totale ». Ce n’est pas un défaut. C’est plutôt une souffrance qui demande compassion, amour et bienveillance. Il s’agit là d’une étape normale du développement de l’enfant, surtout si les enfants en présence sont d’âge rapproché. Ce que l’un possède, l’autre le désire et est prêt à tout pour se l’approprier. Des enfants peuvent même injurier et intimider un enfant dont ils sont jaloux. Pour le rabaisser. Pour lui faire ressentir la souffrance que l’on ressent lorsqu’on croit que l’autre a « Tout » et que l’on a « Rien ». C’est un sentiment d’injustice qui prend le dessus et motive la jalousie. Cela engendre des comportements impulsifs et abusifs. La jalousie met le doigt sur le sentiment de manque-en-soi très inconfortable. D’où la nécessité ressentie vivement de mettre un terme à la jouissance de l’autre en arrachant à pleine main ce que l’autre a et que l’on désire pour soi. Il y a quelque chose d’intolérable dans la jalousie. L’illustration de Niko Henrichon démontre bien la dynamique intérieure qui se joue lorsqu’on imagine que l’autre a « Tout » et que soi-même on a « Rien ». Ça fait mal !
La personne jalouse, enfant ou adulte, met « Tout » à l’extérieur d’elle-même et effectue une comparaison entre ce qu’elle a ,« Rien », et ce dont l’autre bénéficie, « Tout ». Il s’agit là d’une projection de son propre désir sur l’autre et sur ce qu’il possède. Lui enlever devient ce qui s’impose à faire pour équilibrer les choses à son avantage. Ainsi, de graves dangers guettent ceux de qui on est jaloux. Pour enlever ce que l’autre a que l’on désire, l’impulsion peut mener loin : des attaques, de l’intimidation, et on le constate bien souvent malheureusement, le meurtre, comme dans les contes de fées. Faire mal à l’autre pour que cesse la souffrance ressentie de l’intérieur, la souffrance du Rien-en-soi, la souffrance du manque. La jalousie non maîtrisée peut donc aller chercher le côté sombre de l’être humain, « le côté obscur de la force », comme nous suggère la légende moderne de « la guerre des étoiles ». Dans les profondeurs de l’inconscient, se tapit la jalousie. Depuis le début de l’humanité, le mythe de Cain et Abel nous inspire pour nous révéler jusqu’où peut conduire la jalousie. Se comparer à l’autre et dévaloriser ce qu’on a soi-même engendre le sentiment de jalousie. L’auto-invalidation présente dans la jalousie a besoin d’être mise en lumière pour dépasser ce stade de réactions primaires. La déresponsabilisation est aussi observable dans le phénomène de la jalousie. L’autre devient responsable du malaise ressenti en soi. Ainsi, doit-on agir pour l’éliminer ou encore lui enlever ce dont il jouit librement. « Tout » est définitivement placé à l’extérieur de soi. D’où cette sensation de manque terrible à souffrir. Comme une autodépréciation, une auto-intimidation, une autodestruction qui, une fois projetées à l’extérieur de soi produisent les pires actions pour enlever à l’autre ce que l’on désire pour soi.
Comment se sortir de la jalousie ?
- Reconnaître la jalousie comme un sentiment humain qui a besoin d’être accueilli avec bienveillance et amour. (Tous les groupes d’âges)
- Mettre des mots sur la souffrance vécue. Humaniser cette souffrance par la parole. La verbaliser. (Tous les groupes d’âges)
- Aider chacun à s’identifier à lui-même plutôt qu’à un autre en le jalousant. (Dès le plus jeune âge)
- Mettre des mots sur le désir de chacun. Demander à chacun ses goûts, ses préférences, ses choix. En tenir compte. (2 -16 ans)
- Impliquer toutes les personnes concernées dans le processus de résolution du conflit (Voir l’article paru dans Vie de Parents « Comment aider les enfants à résoudre leurs conflits? » (18 mois -16 ans)
- Accorder une valeur personnelle à chacun. (Dès la naissance pour ne pas dire dès la conception)
- Aider à identifier ce que l’on désire vraiment pour soi. (18 mois-16 ans)
- Aider à quitter la perspective « Tu as Tout, je n’ai Rien! » présente dans la jalousie. Faire observer la réalité concrète avec les nombreux choix qui s’offrent à nous pour combler notre désir propre. Faire voir toutes les possibilités qu’offre le présent et ce, malgré ses limites. (18 mois-16 ans)
- Aider à développer la présence à soi pour identifier le désir et agir pour le combler concrètement. Comme la jalousie identifie avec justesse et acuité ce qui demande en soi plus de présence et d’amour, en profiter pour combler le vide. (6ans-16 ans)
- Renforcer tous les progrès positivement lorsque la personne, enfant ou adulte, intériorise ce qu’elle projette d’abord à l’extérieur d’elle-même. (6 ans-16 ans)
- Encourager l’autonomie pour se sortir de l’auto-invalidation, l’autodépréciation. (Dès la naissance)
- Dès le plus jeune âge, développer les habiletés sociales : enseigner le partage, l’entraide, chacun son tour, attendre avant d’agir, savoir s’arrêter, respecter le Non de l’autre, dire Non à l’abus, respecter la bulle de l’autre, faire respecter sa bulle, etc. (Dès les premières relations sociales)
- Développer le sens des limites : communiquer l’interdit de faire mal à soi, à l’autre. Communiquer le respect de l’environnement. (Dès les premières relations sociales)
- Encourager chacun à parler en « Je » pour identifier son désir propre : « J’aimerais… », « Je veux… », « Je désire… », etc. (2-16 ans)
- Développer l’amour de soi, l’estime de soi : noter tous les bons coups, encourager, faire remarquer les progrès, etc. (Voir l’article paru dans Vie de Parents, « L’estime de soi : un trésor à transmettre de génération en génération ») (Dès la naissance)
- Développer la capacité de plaisir de chacun : humour, approche ludique, ressources de l’imaginaire, etc. (18 mois-16 ans)
- Développer la capacité d’agir. Rendre chacun actif dans la recherche de son propre bonheur indépendant de celui des autres (au lieu de jalouser l’autre, plutôt agir pour soi). (2 ans-16 ans)
- Dire la vérité. Ne pas séparer les épines des roses. Parler du positif et du négatif des situations où la jalousie se manifeste. (Dès les premières relations sociales)
- Développer le pouvoir nourricier de chacun. Développer l’automaternage et l’autopaternage pour bien prendre soin de soi. (1 an-16 ans)
- Prendre le temps qu’il faut pour développer la maturité pour maîtriser la jalousie. Apprécier tous les petits progrès. (Durant toute la vie)
- Proposer un environnement ludique riche qui comporte plusieurs objets en double, suscitant ainsi la créativité et la collaboration plutôt que la compétition, la rivalité et la jalousie. (Dès les premières relations sociales)
- Consulter une ressource professionnelle dans un cas de jalousie maladive ou morbide. (Toute la vie)

Illustration : Niko Henrichon
Texte par Jocelyne Petit, Docteure en Sciences de l’Éducation
Références
Françoise Dolto, Lorsque l’enfant paraît, Éditions du Seuil, 2008
Didier de Buisseret, Accueillir la jalousie,2015 (sur le Web)