Ma fille, Alphée, elle a le clapet lousse.
Il clanche pas. C’est comme ça. Comme une porte pas de poignée. Comme une entrée de saloon qui ouvre dans les deux sens pis qui ballotte après. Pis le cow-boy qui entre tout beau tout frais a de maudites bonnes chances d’en ressortir tout mou, puant et amoché si on fait pas attention.
Attention aux doigts dans la bouche, aux trop grosses bouchées, aux sécrétions, à la toux, à trop danser dans le salon sur du Christine and the Queen après le souper. C’est souvent assez pour que le clapet de Phé t’envoie tous ses dossiers à la figure avec une fin de non-recevoir en te disant sèchement que c’est plus son département.
Un matin comme les autres, on est en route vers la garderie. La chaufferette vient pas à bout du frimas dans le pare-brise, mais on crève déjà de chaleur dans nos manteaux. Jam packed dans son banc de bébé, elle a l’air d’une grosse fleur mauve avec une face qui bourgeonne au milieu.
À mi-chemin entre mon point A et mon point B, je réalise que Phé s’est tue. Le silence, c’est souvent pas bon signe quand t’as des enfants.
« Ça va beauté? »
« Mal au bedon. »
La dernière fois je l’avais vu venir. Il me restait un sac à vomi dans le fond du char. L’hôpital me l’avait donné après l’avoir endormie au gaz pour lui poser des tubes. Je sais pas comment j’ai fait cette fois-là, mais j’avais réussi à attraper son vomi au vol en conduisant. Je scanne le fond du char rapidement. Pas de sac, pas de contenant, juste des détritus inutiles. Il était un temps où je gardais mon char propre. Ce temps est révolu depuis exactement 7 ans, l’âge de mon plus vieux.
Et puis BANG! Ça arrive. Ça cascade sur son manteau, ça enrobe les straps, ça s’enfonce dans les craques jusqu’à je ne sais où.
À un certain âge, le vomi monte en grade. Ça devient du vrai vomi. Avant ça c’est du régurgi. À la limite, c’est cute, un régurgi. On l’essuie d’un mouvement absent avec sa manche pis on passe à autre chose en riant ou en faisant « Hon ». Pas du vomi. Le vomi, ça fait pas dire « Hon ». Ça demande de la gestion. Idéalement pas dans une auto au beau milieu du trafic. Idéalement jamais. Mais bon.
Phé pleure. Moi je lui crie après et lui demande niaiseusement pourquoi elle a fait ça. Comme si c’était sa faute. Comme si elle allait me répondre. Quand on est désemparé, on dit vraiment des niaiseries. Comme pour faire fi de notre incapacité à accepter ce qui se passe.
Bon. C’est platte me diras-tu. À la limite c’est déplaisant. Mais c’est pas non plus une tragédie. Capote pas. C’est toujours ben juste du vomi.
Non. Pas pour moi. Pour moi c’est jamais juste du vomi. Pour moi le vomi, quelqu’un qui vomit, c’est un événement.
Toi, c’est comme voir un avion dans le ciel. Tu le remarques même pas tellement c’est ordinaire. Moi, c’est comme si je voyais un dirigeable. Je m’arrête, je regarde le ciel, je pointe du doigt et je dis tout haut « Heille! Un dirigeable! » Toi, le lendemain, t’as déjà oublié. Moi, je vais m’en rappeler toute ma vie.
C’est ça. Depuis que je suis tout petit, le vomi c’est mon ennemi juré. Mon nemesis. Mon Sauron. J’haïs ça. Je sais que c’est naturel, que ça fait partie de la vie, comme éternuer, comme péter. M’en fous. Pour moi, c’est contre-nature, ça devrait pas exister, un peu comme Trump ou Monsanto ou les cils sur les autos. Non, c’est pire que ça. Toute ma vie, j’ai toujours plus ou moins réussi à m’en tirer. Faire comme si ça existait pas, ou tout faire pour en avoir le moins possible dans ma vie.
Dans cet optique-là, avoir des enfants, c’est pas un bon move. Parce que les enfants, ça vomit. Des fois, sans prévenir. Ça en met partout. Pis quand ça arrive, tu peux pas te sauver.
Je pense que c’est la plus grande leçon que j’ai reçue depuis que je suis papa. Un peu à l’image de ce gars pris dans une auto au beau milieu du trafic avec un enfant plein de vomi.
No escape.
C’est ça qui différencie ceux qui ont des enfants de ceux qui n’en on pas.
Tu peux pas choker. T’as plus la liberté de choker. T’as plus cette légèreté dans l’œil et dans le corps. Cette insouciance. Tu le sais parce que tu la vois encore chez ceux qui n’ont pas d’enfant. Et c’est impossible pour toi de leur expliquer c’est quoi. Anyway, ça les intéresse pas vraiment. « Ah oui, c’est l’fun, chanceux, bon, on sort tu? Bye. »
Pas pour rien qu’on aime ça partager des photos de bébé. C’est pas juste qu’on les trouve beaux. C’est aussi pour dire, « Voici le fruit de mon travail. Je suis fier et crissement fatigué, ok là? » Tout ceux qui ont des enfants comprennent. Les autres s’en sacrent.
Je l’ai réalisé juste après l’accouchement du premier. Le petit braillait dans les bras de sa mère. Je m’étonnais de la force avec laquelle un nourrisson pouvait crier. Je regardais le plafond de la chambre d’hôpital vibrer dans la pénombre. Le sol s’est soudainement dérobé sous mon petit lit en métal, alors que je réalisais pleinement, pour la première fois, l’ampleur de la situation. Un sentiment de chute libre. « Qu’est-ce que t’as fait là? » me demandait l’enfant en moi, en sacrant son camp pour toujours. Pas de retour en arrière man. C’est l’engagement ultime.
Je me demande souvent si c’est pas une pilule plus difficile à avaler pour nous, génération du commande-Z, de la télé à la carte, de la musique en streaming et du magasinage en ligne. Nous qui commençons sans rien finir, nous qui jetons dès qu’on est tannés.
Nous qui sommes si habitués d’avoir l’air et de surfer. Nous qui croulons sous les choix. Nous les Je-prends-soin-de-moi-parce-que-je-le-vaux-bien.
Un enfant, dans ce contexte, c’est l’ultime inconvénient. C’est Monsieur Miyagi qui lâche pas le Karate Kid d’une semelle. Ou d’un pied, Karate Kid avait pas de souliers.
Ma fille, c’est ma Senseï du vomi.
Ces jours-ci, aux repas, son trip c’est de me regarder dans les yeux et d’ouvrir sa bouche pleine. Comme pour me dire, « T’as pas fini avec moi. »
Par Benoit Beaulieu-Forget - 28 juin 2017
Si j’aborde le développement affectif de l’enfant, alors que je m’adresse au papa et à ses émotions, c’est qu’en comprenant
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