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Le FOMO du Cro-Magnon
Par un tranquille dimanche après-midi d’avril, je regarde de près le champ de blé de la tête blonde de mon garçon de sept ans qui dort collé sur ma poitrine. En arrière-plan, dans la fenêtre de ma chambre, la neige tombe entre les arbres, comme au ralenti. J’observe chaque petit détail de son beau petit visage endormi, et je goûte pleinement au plaisir simple de rester là, avec lui, en silence, bien au chaud. Je me souviens pas de la dernière fois qu’il s’est endormi sur moi. Depuis qu’il est grand, il refuse catégoriquement de dormir le jour, et c’est bien normal. Dormir, se dit-il, pouah, quelle perte de temps!
J’essaie de prendre une photo mentale de ce moment précieux qui va peut-être me revenir quand je serai vieux, les yeux mouillés. Je vais aussi pouvoir m’en servir quand il sera ado et insupportable, ça pourrait être pratique. 😉
Je m’imagine être un homme pré ou post-historique qui veille sur sa progéniture. Enfirwâpés dans nos fourrures de loup, on guette l’arrivée du printemps. On a chassé assez de nourriture et ramassé assez de bois dans notre refuge pour quelques jours. Dehors, la neige persiste et il fait froid. Tout ce qui nous reste à faire, c’est de se reposer ensemble à la lueur du feu. Sans chercher à faire quoi que ce soit d’autre qu’exister.
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Je pense que j’ai souvent soif d’une vie plus simple. Moins stressante. Avec moins de choses dedans et, pourtant, beaucoup plus pleine. Ça doit être pour ça que je romance souvent la vie des hommes des cavernes qui, soyons honnêtes, devaient se faire suer sur un moyen temps pour pas mal n’importe quel détail de la vie quotidienne. Quand même. Leur stress devait être plus gérable, je me dis. Du genre, «Attention il y a un mammouth derrière toi cours!», et non «Attention, tu dois passer au garage changer tes pneus, payer ton compte de taxes en retard, réduire ton empreinte carbone, te désespérer sur un commentaire sur Facebook et absolument ne pas manquer cette nouvelle série sur Netflix».
L’homme de Cro-Magnon ne souffrait définitivement pas du FOMO.
J’ai le confort, ça oui. Mais j’ai aussi la vie un peu mongole à courir dans tous les sens pour supporter ce confort-là, qui va avec. De retour à la maison, souvent épuisé, je retrouve les enfants et le cirque continue. Je compte souvent les minutes avant l’heure du dodo. Ok, me reste la vaisselle, les devoirs, le bain, l’histoire. Et quand, enfin, je me retrouve seul dans la maison silencieuse, je remplis tous les espaces vides pour me «reposer». Finalement je me couche en ayant profité de rien.
Sans m’en rendre compte, je lègue à mes enfants mon allergie du vide.
Pourtant, en ce moment, avec mon petit garçon qui ronfle doucement sur mon cou, je cherche pas à être ailleurs. J’arrête d’avoir hâte à mon prochain moment de «liberté». J’ai pas le goût de faire quoi que ce soit pour me distraire, à part rester là, toute là, avec lui.
J’essaie d’imaginer une vie qui n’est pas coupée en bouttes plattes et en bouttes cool. Une vie où je suis toute là, tout le temps, pas en arrière, pas en avant. Je pense que mes enfants en seraient reconnaissants.
Florian se réveille. «Papa, qu’est-ce qu’on fait? C’est plate.»
Rédaction :
Nicola Vachon
Mise à jour : 7 avril 2019
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