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Des humains confits
La première semaine du confinement, j’ai un peu viré d’sour.
Quoi, me disais-je, pensif, en regardant la bouette frette de mars dehors? Pogné à maison avec les enfants pour des semaines, peut-être des mois? Tu me niaises?
Non, dit la Covid 19.
Comment on va faire ça? Ça va être l’asile.
Ç’a pas été long que j’ai senti le besoin urgent d’organiser les journées. Même si, dans la vie, je suis plus du genre vivre et laisser vivre et prendre ça comme ça vient.
Prendre ça comme ça vient? Nenon, tu comprends pas mon grand. Tu prends pas un confinement avec des enfants comme il vient. Tout seul en appart, peut-être, mais je pense que je capoterais encore plus.
Faque, on s’est fait un horaire de la journée. Période de lecture, période dehors, période de leçon, période de jeu libre pas d’écran, période d’écrans laissez-moi tranquille je me fais un café, repas, bain. Juste ça, d’avoir une structure, ç’a calmé tout le monde.
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Ç’a mis du sens dans quelque chose de complètement insensé et inédit. Tellement inédit que les premiers jours, j’avais l’impression de rêver, pour vrai. Voyons, ça se peut juste pas.
Ben oui, dit la Covid 19.
Pis savez-vous quoi? Je pense que, dans mon cas, le confinement, ça pouvait pas mieux tomber. Ça pouvait juste me faire du bien. Pense à l’oignon confit qui s’est fait mettre dans un pot Mason un jour en se faisant dire qu’éventuellement il va goûter tellement bon, qu’on va se pitcher dans les murs en disant mioum. Sur le coup, c’est clair qu’il va dire fuck you.
Confinés. Confits. Je suis un humain confit.
Je me sens comme dans un incubateur. Te souviens-tu de l’épisode du vieux passe-partout sur les poussins? Des œufs fécondés étaient posés dans la lumière et la chaleur, jusqu’à ce que des petites boules jaunes en sortent, toutes contentes. Ça m’avait marqué. Ça avait l’air le fun.
Le confinement, dans mon cas, c’est pile ça. Un incubateur. Mais, attends, pas un incubateur de projets, pas une affaire de productivité. J’ai pas envie de pondre quoi que ce soit ou de gagner des followers.
Non. Un incubateur de vrai, de real. Comme être ensemble. Comme prendre le temps. Comme s’aimer. Comme faire de l’ordre et organiser ses armoires où c’était le bordel depuis que t’as emménagé… y a 5 ans.
Je sais que c’est horriblement injuste de dire que, pour moi et ma famille, la pandémie, jusqu’à maintenant, c’est de chiller dans de la paille chaude et dorée en faisant cric crac pip pip pip. Mais je me dis autant profiter de ce qui arrive au lieu de juste me sentir coupable de l’avoir aussi facile.
Pour une fois, je prends la peine de jouer avec les enfants et d’être avec eux sans avoir hâte à après. Pour une fois, j’ai vraiment le feeling d’être en famille, d’être ensemble, sans être pogné dans l’étau de la fin de semaine jam packed ou dans celui de la course folle du matin ou du soir. Pour une fois, je sens que, même si le temps passe vite et que dans le temps de le dire mes enfants seront grands et indépendants et voyons papa décolle, je peux profiter des petits miracles qu’ils sont. Je suis là pour eux. Vraiment là. En apesanteur. Pis on invente plein d’affaires. Pis on regarde l’ancien monde en se disant méchante gang de mongols.
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C’est drôle que, malgré le fait qu’on soit tous isolés chacun chez soi, on n’ait jamais été aussi ensemble. Les gens ne se sont jamais autant salués dans la rue. Comme si le fait de ne plus être occupés 24/7 à réussir nos vies respectives et être pressés d’être heureux, ça nous remettait ensemble, pour vrai.
Je ne suis pas croyant. Mais, spontanément, on a décidé avec les enfants de faire une prière le soir avant le dodo. Pis ça nous fait du bien. Comme un souper à la chandelle dans une panne d’électricité. On se tient les mains en cercle, on ferme les yeux pis on envoie de l’amour à ceux qui nous manquent pis on souhaite qu’ils aillent bien. Là, les enfants la demandent chaque soir.
Bonne nuit papa. Je t’aime comme le multivers.
Nicola Vachon
Rédaction :
Nicola Vachon
Mise à jour : 20 avril 2020
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