Ma mère est morte quand j’avais 16 ans. Quand j’ai eu mon premier enfant et que je suis devenue mère à mon tour, j’en avais 28, donc 12 ans plus tard. Après 12 années, le mot maman reprenait du service, il brillait d’un éclat nouveau. Il ne portait plus seulement l’absence en lui, il était le présent. Il pouvait être dit de façon légère et insouciante, il pouvait à nouveau être associé au bonheur. J’étais moi aussi une maman.
Mais j’étais une maman sans maman pour la guider sur le chemin des mamans. Des fois, je suis fière du chemin que j’ai parcouru seule, sans ma mère à mes côtés pour me supporter. D’autres fois, je suis en maudit. J’en veux à toutes celles qui ont des mères (je le sais, ça fait pas mal de monde). Je les envie d’avoir des mères qui peuvent les aider à surmonter toutes les difficultés que la maternité met sur leur chemin et qui peuvent en partager toutes les joies. Surtout, je les envie d’avoir des mères qui peuvent les comprendre.
Je me rappelle cette salle d’allaitement d’un centre d’achats, où j’étais bien assise en train de nourrir à même mon sein mon premier rejeton alors âgé de 4 mois et, dans la chaise berçante de biais à la mienne, il y avait cette autre maman, avec un bébé plus petit que le mien, qui était elle aussi en train de l’allaiter. Cette nouvelle maman avait sa propre maman à ses côtés et celle-ci prenait le bébé, entre deux seins, pour lui faire faire son rot. Elle sortait aussi la bouteille d’eau du sac pour la donner à sa fille, elle lui tenait ses compresses, elle mettait de l’ordre dans le sac à couches. Comme je m’étais sentie seule à ce moment. Bien que je ne fusse pas malheureuse de ma situation, je venais de réaliser combien ma vie aurait été plus facile si ma mère avait été encore de ce monde. Ce moment m’a tellement marquée que je me rappelle encore comment mon fils était habillé cette journée-là : une salopette bleue avec des vieilles attaches et un chandail rayé rouge et blanc.
Encore aujourd’hui (mes enfants étant maintenant âgés de 6 et 9 ans), il m’arrive de ressentir cette solitude, cette colère diffuse. Avant les fêtes souvent, pendant les longs week-ends aussi. Je n’ai plus de maman pour m’inviter à des soupers de famille (et depuis deux ans, je n’ai plus de papa non plus, mais ça, c’est une autre histoire). Je les entends, les autres parents, à la salle de pause ou au cours de natation : « On va souper chez mes parents dimanche. Ouf, ça fait du bien de ne pas avoir à penser au souper! Pis ils aiment tellement ça s’occuper de leurs petits-enfants! », « Mes filles vont passer la relâche chez papi et mamie. Elles vont se faire gâter! », « Jardiner, ça c’est une activité qu’il fait avec sa grand-maman ».
Moi, je n’avais pas de maman à appeler pour lui dire que je trouvais ça difficile en tabarnouche de s’occuper d’un nouveau-né, je n’avais pas de conserves de betteraves ni de cornichons marinés ni de crème de zucchini qui m’attendaient, toutes prêtes, pour me donner un coup de main dans ma nouvelle vie de maman, pas non plus de maman à appeler pour annoncer en grande pompe d’un ton hystérique que mon terrible two était maintenant propre, pas de maman pour partager mon émoi de mère de voir mon petit grand garçon quitter pour la maternelle dans un autobus jaune beaucoup trop grand pour lui, pas de maman pour partager ma perplexité quand il me dira, quelques années plus tard : « Ce n’est pas toi qui décides de ma vie! ». À chacun de ces moments, et à combien d’autres, elle m’a manquée.
Aujourd’hui, je suis fière de mes garçons, fière de ce qu’ils sont, fière d’être une bonne maman (pas parfaite là, on s’entend). Et si je suis une bonne mère pour mes garçons, bien ça doit être un peu grâce à elle, à l’éducation, aux valeurs et à l’amour qu’elle m’a transmis pendant ces 16 années où elle s’est occupée de moi.
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