ARTICLE
Les jeux risqués pour ou contre?
La société canadienne de pédiatrie nous surprend en prenant position pour les « jeux risqués » pour les enfants de 1 à 13 ans. Ces jeux peuvent améliorer l’estime de soi ainsi que les interactions sociales, nous dit la Dr Beaulieu, pédiatre au CHU de Québec. Différents jeux sont nommés dans cet article de Marie-Ève Cousineau dans Le Devoir du 25 janvier 2024. Des jeux qui peuvent faire peur aux adultes que nous sommes! Des jeux en hauteur comme grimper dans les arbres, des jeux à grande vitesse, des jeux comportant des chocs comme des jeux de chamaille, des jeux qui se jouent proches du feu ou de l’eau, etc. Quelle réflexion porter sur nos pratiques pour essayer de comprendre comment nous en sommes venus, comme société, à développer comme une allergie aux risques et aux possibles blessures que ces risques peuvent entraîner? Ramenons-nous dans le passé…
Les jeux du passé
Il fut un temps où la contraception n’était pas facilement accessible ni acceptée. En ce temps-là, on « faisait des enfants ». C’est-à-dire que la progéniture pouvait être nombreuse et les tâches reliées au bon fonctionnement de la famille étaient lourdes. Dans les grandes familles, tout le monde mettait la main à la pâte pour accomplir les différentes besognes. Les plus grands pouvaient prendre soin des plus petits. La supervision directe des parents était plutôt limitée, faute de temps. Les enfants, dans ce contexte, disposaient de temps libre pour initier leurs propres jeux et explorer les ressources existantes autour d’eux. Il n’y avait pas toujours un regard adulte pour vérifier le niveau de danger des activités des enfants. L’exploration était plus libre. Et les écrans n’existaient pas encore. Alors, les jeunes jouaient dehors le plus souvent et s’amusaient à découvrir leur environnement. Leurs jeux pouvaient être « risqués » sans que personne ne s’en soucie trop.
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Les jeux d’aujourd’hui
Aujourd’hui, avec la contraception accessible, les enfants qui naissent sont la plupart du temps des enfants « désirés ». Cela change la donne énormément! Les parents investissent beaucoup d’énergie dans leur progéniture. Ils les accompagnent dans plusieurs activités et se font un devoir d’être présents dans leurs sports et leurs loisirs. Des sorties nombreuses avec les parents sont organisées : piscine, aquarium, soccer, cours de chant, hockey, récréathèque, etc. pour n’en nommer que quelques-unes. De ce fait, les enfants de nos jours s’attendent à être divertis et amusés dans leur temps libre par leurs parents ou par des ressources extérieures comme les écrans. Et les parents d’aujourd’hui ne veulent pas que leurs petits se fassent mal ou prennent des risques qui les mettraient en danger. Alors, nous surprotégeons nos enfants et les couvons trop. Ce faisant, ils développent moins d’autonomie dans leurs jeux et deviennent plus dépendants des parents et des écrans pour vivre des expériences stimulantes.
Vivre le retour du balancier
La société canadienne de pédiatrie nous invite à revoir nos pratiques pour aborder la notion de « précautions » de manière plus équilibrée. Elle nous invite à laisser les enfants expérimenter par eux-mêmes pour qu’ils développent une plus grande maîtrise de leurs activités en apprenant à sentir les limites des situations et à prendre certains risques. Elle insiste sur le fait que l’enfant doit être en mesure de toujours évaluer le risque et de percevoir le danger. À partir de ces perceptions, il peut choisir de poursuivre ou non son activité. Comme s’il fallait faire plus confiance à nos enfants et moins les materner et les paterner. Leur laisser un espace de liberté plus grand.
Certains principes d’intervention peuvent découler de cette réflexion sur nos pratiques.
- Éviter de surprotéger nos enfants
- Éviter de surinvestir dans notre progéniture
- Laisser plus de place au jeu libre initié par l’enfant même si celui-ci comporte des risques
- Superviser de plus loin les jeux des enfants
- Apprendre aux enfants à écouter leur corps pour identifier les sources de danger et les risques et y réagir, identifier s’ils se sentent bien ou mal, confortables ou inconfortables
Terminons cette réflexion en relatant des observations d’enfants dans des situations qui comportent des risques, dans des « jeux risqués » justement.
Trois enfants s’amusent ensemble. Ils ont 2, 4 et 6 ans. Le jeu qui les intéresse est de monter sur une table basse et de sauter par terre. L’enfant de 6 ans s’exécute en premier. Il prend son élan, court tout au long de la table et saute au bout. Il est fier de son exploit! L’enfant de 4 ans a observé la scène. Elle monte sur la table à son tour, court lentement, s’arrête au bout de la table et saute. L’enfant de 2 ans a bien observé les jeux des 2 autres. Elle grimpe sur la table, s’amène en marchant jusqu’au bout de la table, se tourne par en arrière pour descendre lentement et finit en se retournant vers les 2 autres, en rebondissant avec ses 2 pieds au sol. Elle semble fière de sa performance!
Notons que chaque enfant a évalué le risque et a choisi ses mouvements selon ses capacités réelles. Chacun a ressenti la satisfaction de la tâche accomplie. On pourrait toujours leur dire « On ne monte pas sur la table ! C’est dangereux de se faire mal! Mais cette observation peut nous convaincre que l’enfant de différents âges est capable d’évaluer le danger et d’agir pour sa propre protection tout en ayant la satisfaction de participer.
L’observation se passe à l’extérieur sur une pente pour glisser avec une luge. La pente est abrupte. Quand on descend, la vitesse augmente. Et il y a un trou à la fin de la piste qui demande de bien se maîtriser et bien suivre le mouvement parce que ça secoue! Un jeune garçon de 6 ans s’aventure sur la pente. Il descend à une bonne vitesse. Il arrive au trou et se soulève de la luge pour absorber le choc. Il est vraiment fier de sa performance! Il sourit et a les yeux brillants de plaisir! Il remonte au haut de la pente pour reprendre son manège. Il le répète avec joie plusieurs fois. Il crie de joie! Et le voilà à nouveau en haut de la pente. Il s’élance mais comme il arrive au trou, son père vient pour le photographier. Il est déconcentré et tombe dans le trou et se fait mal.
Ici, on peut constater que le « jeu risqué » requiert toute l’attention de l’enfant pour suivre le mouvement et réagir en lien avec les secousses que le trou provoque. L’enfant est très capable d’évaluer le danger et de prendre des risques en conséquence. On voit aussi qu’une présence du parent plus discrète et plus distante serait requise pour ne pas déconcentrer l’enfant, pour ne pas lui faire perdre la maîtrise qu’il a sur son jeu.
Conclusion
Nous avons intérêt à nous repositionner comme la société canadienne de pédiatrie nous le suggère. Nous repositionner en intervenant moins directement dans le jeu de l’enfant, et en lui communiquant moins nos inquiétudes. Lui laisser des temps de loisirs où il explore par lui-même son environnement et où il s’adonne à des « jeux risqués ». Plus il est maître de son jeu, plus il développe l’attention nécessaire pour risquer tout en évaluant le danger et en se protégeant au mieux. Ces expériences sont positives pour son image de soi, son estime de soi!
Par Jocelyne Petit, Docteure en Sciences de l’Éducation
Référence
Marie-Ève Cousineau, Le « jeu risqué » dorénavant recommandé par les pédiatres, Le Devoir, 25 janvier 2024