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Le couple : comment se nourrir mutuellement? partie 1

De nos jours, nous observons dans les couples un transfert progressif du pouvoir nourricier avec, comme résultats, un meilleur partage des tâches reliées à la famille. Or, ce transfert ne s’effectue pas toujours sans heurt! Voici un exemple qui se passe dans la cuisine impliquant un homme et une femme. Le type de conflit vécu peut toutefois se vivre pour n’importe quel couple, à la cuisine ou ailleurs. L’important à retenir, c’est la position occupée par chacun et leur manière respective de faire face au conflit.

Un homme se trouve très heureux, un jour, de ressentir le désir de cuisiner. Il annonce sa décision de manière solennelle à toute la famille. Pour rendre cette décision encore plus concrète, il s’achète un tablier à son goût qu’il portera désormais quand il cuisinera. Tout le monde se réjouit de cette nouvelle collaboration annoncée. Dans les jours qui suivent, il se met à la tâche, avec son tablier bien sûr. Il prend la chose très au sérieux et est déterminé à apprendre. Toutefois, cela ne se passe pas exactement comme il avait prévu. En effet, il se voyait en toute liberté fouiller dans les livres de recettes et cuisiner ce qui l’attirerait. Le faire à sa façon! Quelle fût sa déception de constater que, dès qu’il enfilait son tablier, une ombre se dessinait dans la cuisine, suivant pas à pas ses recherches et commentant ses choix et ses actions. « Ah! Non! Pas ça! », « Mets plus d’huile! », « Dis-moi pas que tu t’y prends comme ça! », « Si tu veux réussir, tu dois mélanger toujours du même côté! », etc. L’impatience et l’exaspération le gagnent peu à peu. Il se sent poursuivi, surveillé, épié. Ses moindres gestes sont observés et discutés…Rarement à la positive! Plutôt à la négative! Au bout de quelques temps, il finit par se dire qu’il n’est pas à sa place dans la cuisine et que ce lieu est déjà habité d’une présence plutôt rébarbative et décourageante face à sa présence à lui. Il finit par dire haut et fort : « C’est fini! », « J’accroche mon tablier! ». Sa frustration est si grande que, lors des réunions de famille, il raconte cette histoire à qui veut bien l’entendre.

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J’ai entendu cette histoire lors d’une fête de Noël. J’ai perçu le profond désir de cet homme de faire sa part dans la cuisine pour nourrir sa famille. J’ai perçu aussi la frustration de ne pas le faire et le désir de faire comprendre à tout le monde que ce n’est pas de sa faute s’il ne cuisine pas. Or, l’analyse de cette situation nous mènera plus loin que l’éternelle accusation de l’autre pour se laver les mains dans le conflit vécu. Car il n’est pas question de faute ici! Il est question de position de chacun des partenaires du couple. Ces mêmes positions sont d’ailleurs observables dans bon nombre de conflits. Elles produisent des chocs sismiques dans le couple. Les comprendre peut aider à désamorcer le conflit dans les premiers moments où il prend forme.

Comprendre la position de l’homme

Premièrement, examinons la position de l’homme. L’homme a un nouveau désir : cuisiner pour sa famille. Désormais, les normes sociales rendent possible cette contribution, sans pour autant affecter l’image de soi comme homme masculin et viril. De nos jours, plusieurs hommes cuisinent avec bonheur. Cet homme s’inscrit donc en harmonie avec un contexte social soutenant la nouvelle action qu’il désire entreprendre. Il matérialise son choix avec un vêtement symbolique : un tablier. Il veut que chacun sache là où il est lorsqu’il porte ce tablier. Il s’exécute mais s’aperçoit vite qu’il n’est pas seul dans son projet. L’avait-il signifié qu’il désirait se débrouiller seul et apprendre seul? Lorsque la tension et l’insatisfaction ont monté en lui, l’a-t ’il signifié? L’histoire ne le dit pas. Toujours est-il que, pendant un certain temps, il cherche son plaisir en cuisinant. Et il ne trouve pas ce plaisir! Il finit par démissionner et accrocher son tablier avec la colère au visage. : « Jamais plus, je ne cuisinerai! »

Comprendre la position de la femme

La femme, quant à elle, fait probablement ce qu’elle a toujours fait : nourrir les autres et s’occuper de tout dans la cuisine. Elle n’a pas senti le désir d’autonomie de l’autre ni son désir de liberté. Elle n’a pas perçu non plus les signes d’insatisfaction. Elle a désiré aider. Elle a donc suivi chaque étape en se mettant le nez dans les chaudrons, en commentant et critiquant les choix de son conjoint. En les comparant à ses choix à elle. Après tout, elle a de l’expérience! Elle ne perçoit pas ce qu’elle fait comme une invasion, une intrusion ni une insistance pour « bien cuisiner ». Elle s’est probablement concentrée sur le but en oubliant le processus et le plaisir de vivre le processus en toute autonomie et liberté. Elle a imposé sa loi et sa manière de faire sans laisser à l’autre le loisir de trouver sa manière à lui de faire, en se faisant des points de repère personnels. En expérimentant, en faisant des essais/erreurs. Elle s’est orientée tout de suite vers le « bon résultat », « le produit fini acceptable », dans un bon repas cuisiné selon ses critères. Le conflit a surgi. Personne ne l’a affronté pour le résoudre. Le découragement a pointé avec comme résultat un retour à la case départ : un partenaire cuisine, l’autre est servi.

Comprendre le schème du conflit observable

Cette expérience vécue est riche d’enseignements car il y a là un schème observable dans tant de situations conflictuelles. Comprendre ce qui a nui à la collaboration dans le couple est essentiel pour résoudre d’autres conflits qui ont la même structure.

Il y a un repositionnement des deux partenaires à envisager pour résoudre ce conflit. D’une part, la partenaire qui cuisine a un cheminement à effectuer pour ouvrir l’espace de la cuisine aux autres membres de la famille. Le pouvoir nourricier féminin est reconnu traditionnellement dans toutes les cultures. Partager et transférer ce pouvoir aux autres ne va pas de soi. Si la valeur personnelle de la personne et si les actions qu’elle accomplit à chaque jour pour se sentir utile, pour se sentir bonne, compétente, responsable, importante, unique, appréciée sont des actions pour nourrir les autres, il ne sera pas facile pour elle d’ouvrir l’accès de sa cuisine, car elle peut croire qu’elle perd de son pouvoir et qu’elle perd sa place. Sans le vouloir, elle fait obstruction parce qu’elle est attachée à ce rôle appris depuis la tendre enfance : « prendre soin des autres ». Faire de la place dans la cuisine à d’autres peut être vécu comme étant menaçant et déstabilisant. Si son identité est définie comme étant fiable et omniprésente pour nourrir les autres, toujours disponible; ce rôle est touché. Et quand l’identité est touchée, on se trouve en terrain miné puisque le conflit peut surgir n’importe quand.

Voyons comment ce couple a négocié le virage. L’homme a persévéré un certain temps malgré l’obstruction perçue et malgré l’omniprésence envahissante. Puis il a accroché son tablier, en abdiquant son désir, en lâchant le morceau.

Imaginer comme homme que l’on peut s’immiscer du jour au lendemain dans le territoire circonscrit de l’autre, territoire où l’identité féminine trouve matière à se définir depuis le début des temps, c’est rêver en couleurs!  De l’autre côté, s’imaginer que l’homme désire cuisiner comme soi-même et que sa cuisine sera le prolongement de la sienne, c’est nier la différence fondamentale entre les personnes.

Se décourager, lâcher le morceau, accrocher son tablier devant un revers sont encore des attitudes qui alimentent le conflit sous l’emprise d’un imaginaire qui dirait que l’on peut obtenir « Tout, tout de suite », sinon ce n’est « Rien »! Cette vision « Tout ou Rien » se pointe derrière tant de conflits!

Adopter plutôt une vision « processus à long terme »

Où est le processus? La vision pas à pas? La progression par étapes? Tout apprentissage se fonde sur une construction personnelle de connaissances que l’on élargit et que l’on complète au fil des jours pour développer de plus en plus de cohérence interne, nous dit Piaget, un grand scientifique de l’Éducation. Tout apprentissage s’effectue donc par étapes. Quand on demande à quelqu’un de tout comprendre, de tout faire ou de tout changer d’un coup sec, peu importe ce qu’on désire à ce moment-là, à la cuisine ou ailleurs, on est quitte pour la bagarre, car c’est impossible et irréaliste! L’objectif est inatteignable! La barre est trop haute! Le fantasme imaginaire ressemble à un gros ballon qu’on a intérêt à dégonfler, si on veut travailler ensemble dans le couple à se nourrir mutuellement, tant sur le plan physique que psychologique. La vision absolue a besoin d’être révisée pour laisser place à la progression au jour le jour avec de petites conquêtes à célébrer souvent, parce qu’on chemine dans la bonne direction. Pas parce qu’on est tout de suite rendus, en claquant des doigts ou en « criant ciseau ».

Comment se nourrir mutuellement sur les plans physique et psychologique dans un couple et dans une famille?

En analysant la situation décrite, on peut dire :

  • En n’envahissant pas le territoire de l’autre.
  • En exprimant clairement ses désirs.
  • En laissant à chacun la chance d’apprendre, pas à pas, dans une vision « processus à long terme ».
  • En accordant l’autonomie et la liberté à chacun d’apprendre à son rythme, plutôt que de se concentrer sur le « produit fini » et le résultat.
  • En quittant la vision absolue « Tout ou Rien » et la vision « Tout, tout de suite! ».
  • En n’imposant pas l’aide lorsqu’elle n’est pas requise.
  • En considérant la différence de chacun comme une contribution plutôt que d’imposer une manière de faire en niant la différence de l’autre.
  • En étant actifs à résoudre les conflits lorsqu’ils surgissent au lieu de lâcher le morceau ou d’y être insensible.

 

Pour lire la suite, c’est ici « Comment se nourrir en couple mutuellement (2e partie) »

 

Par Jocelyne Petit, Docteure en Sciences de l’Éducation, counseling et orientation

 

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