Quand j’ouvre la porte de ma maison et que du coin de l’œil j’aperçois ses guitares dans le salon, je ne le vois pas étendu au sol, avalant péniblement ses dernières gorgées de vie. J’aurais pensé que cette scène me hanterait pour toujours. Que je devrais vendre notre maison pour fuir mon pire cauchemar. Mais je me suis lovée dans ce nid que nous avions construit pour fonder notre famille.
L’âme du fils et celle du père se sont croisées quelque part entre deux mondes. Elles se sont peut-être reconnues et étreintes un instant. Du moins c’est ce que j’espère. Né la veille de la cérémonie funéraire, c’est un enfant sans père que j’ai tenu serré contre ma poitrine alors que je faisais mes adieux à celui qui avait partagé ma vie pendant mes plus belles années de jeunesse, de voyages, de découvertes et d’apprentissages.
Pendant près d’un an, j’ai erré dans ce monde auquel je ne voulais plus appartenir. J’exécutais tous mes gestes machinalement. Le bouton du pilote automatique était enfoncé. Je ne ressentais rien à part le vide laissé par mon amoureux et le poids accablant de ma responsabilité parentale. Mon corps se vidait de son eau à chaque crise de larmes, mais malgré cela, mes seins ne demandaient qu’à nourrir le petit être que j’avais mis au monde seule.
J’allaitais, je mangeais, je dormais et je pleurais. J’étanchais la soif de l’enfant qui avait besoin de sa mère. Mais j’étais cette mère honteuse qui ne voulait plus de son enfant parce que l’homme avec lequel elle l’avait rêvé était mort. La reine des mères indignes, c’était moi. Mon cœur était transi, l’amour ne voulait pas éclore.
Grâce à la bienveillance, la patience et la présence constante de ma mère, de ma sœur et de ma meilleure amie, j’apprenais tranquillement à être une mère aimante mais surtout, une mère vivante. J’apprenais à aimer mon fils au présent. Pas la version du fils que je m’étais imaginée. Devenir mère signifiait laisser aller le modèle de la famille nucléaire parfaite.
Le changement s’est opéré tellement lentement et subtilement que je ne l’ai pas constaté alors qu’il prenait place. Mais un peu plus d’un an après l’avoir tenu dans mes bras pour la première fois, enfin je le ressentais au fond de mes tripes: j’aimais mon fils. J’ai remercié la vie de me l’avoir envoyé après l’avoir maudite pendant si longtemps.
Le manque de mon amoureux ne me consommait plus. Il y avait maintenant de la place pour l’espoir. Le goût de vivre s’installait en même temps que mon amour pour mon fils grandissait. Tout ça était fragile, mais infiniment réconfortant.
Ceux qui ont croisé ma route au cours de ces quatre dernières années, qu’ils m’aient tenu la main ou portée sur leur dos, m’ont tirée vers la sortie de ce trou noir dans lequel j’étais enfoncée. Ils se sont relayés pour alléger ma peine. Le passage était interminable. Obligé. Sans raccourci. Mais ma souffrance, ils sont plusieurs à l’avoir portée pour me permettre d’avancer.
Aujourd’hui je me sens libre. Libre de pleurer sans laisser les sanglots m’étrangler. Libre de penser à celui qui m’a quittée trop tôt quand j’ai besoin de le sentir près de moi. Libre d’aimer et d’être aimée à nouveau.
Ma résilience a un nom. Elle s’appelle Alex. Mais aussi Tristan, Jojo, Alain, Alexi, Marie, Rosa, Isma, Jean-Bern, Steph, Ollie, Gaston, Denise, François, et Jules.
Crédit photo : Tania Lemieux
Par Myriam Bouchard - 26 juin 2017
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