On entendait parler de l’horreur vécue dans les autres pays, des milliers de morts, du premier cas au Québec… c’était si loin, mais si près. La crise a éclaté : les garderies, écoles, cégeps, universités fermées pour 2 semaines. Ensuite, les commerces fermés, la vie sur pause. Les semaines prolongées en mois. Dès le début de la crise, un mouvement mondial est lancé pour nous donner espoir, celui de l’arc-en-ciel. Le criss d’arc-en-ciel.
Tu m’as fait du bien au début, dans les premiers jours, je trouvais le mouvement tellement beau. On a sorti nos pinceaux, la gouache, on t’a tracé, peint et accroché dans nos fenêtres. J’étais contente de faire partie du mouvement, j’avais l’impression que ça prenait juste un peu d’optimisme pour passer au travers de ça. J’ai eu le cœur chaud en me promenant dans mon quartier avec les enfants, nos premières balades où on te découvrait dans les fenêtres de tous les voisins. Tu représentais l’espoir, la force collective, l’entraide. Ce temps me semble si loin.
Après notre millième marche, on te voyait pu. Quand mon regard te croisait, j’avais soudainement un goût amer. Ça va tu bien aller pour vrai ?
Par moment, j’ai été écœurée en criss de te voir. Tout le monde s’est fait un devoir de t’imprimer sur tout ce qui est possible : vêtement, tasse, verre, sac, bobettes, name it. Je sais, il faut encourager les commerces d’ici, mais est-ce que je suis obligée de t’avoir dans face à tout moment ? Toi et toute la signification qui vient avec ?
Dernièrement, tu m’as vraiment fâchée. Ce n’est pas vrai que ça va bien. Pourquoi on essuierait des milliers de morts avec un foutu arc-en-ciel ? Je me sentais presque narguée, la rage au cœur. Tellement d’émotions mélangées. Je sais que je dois garder espoir, garder le cap, mais je me sens oppressée. Oppressée par nos univers chamboulés, l’angoisse dès qu’on met le pied hors de la maison, le nouvel état de vigilance qui nous habite et la difficulté de voir la lumière au bout de ce tunnel.
La vérité, cher arc-en-ciel, c’est que je ne t’en veux pas tant que ça. J’en veux probablement à ma naïveté, celle d’avoir pensé que tout allait bien aller pour vrai. Que ça n’allait pas durer aussi longtemps que ça. Qu’on était au-dessus de ça, au Québec, mieux préparés, mieux équipés. Je sais que, quand tout ça sera loin derrière nous, et que je vais te revoir, mon état émotionnel sera totalement différent. Mais pas aujourd’hui, pas dans le haut de la courbe.
Un arc-en-ciel, c’est la réaction entre la lumière du soleil et les gouttes de pluie. Ce qu’on ne savait pas de l’arc-en-ciel COVID, c’est qu’il n’avait rien à voir avec les autres. Qu’il va venir après un gros et long ouragan, pas une petite pluie de soir d’été. Ce qu’on ne savait pas non plus, c’est que le soleil après l’ouragan va être beau quelque chose de rare. Que l’arc-en-ciel qui en ressortira pour la dernière fois, on pourra lui dire adieu, peut-être même l’envoyer promener collectivement. Le soleil au bout de tout ça, on risque de l’apprécier différemment.
Francesca Grondin/ IG : La mère vagabonde