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Je n’avais jamais
Tu m’appelles au cœur de la nuit. Tu te suspends à mon sein. Je dois rester éveillée. Afin de pouvoir te déposer dans ton landau. Pour ne pas que papa s’effondre sur toi. Ses ronflements enterreraient ton silence, ton départ. Pour m’éloigner de Morphée, je fais l’inventaire de mes craintes. Un loisir comme un autre! Il y a tant à craindre. Ici, dans la rue, au parc… Les escaliers, les voitures, les chiens en liberté… De ma vie, je n’avais jamais assez aimé pour recenser les dangers. La quantité m’affole. Ta bouche est molle autour de mon sein. Cette fois, tu dors enfin. Tu sembles sereine. Mais moi, je n’ai plus sommeil. Je ne suis même pas encore arrivée dans la cuisine. Ses produits chimiques et ses électroménagers risquent d’envahir tout le temps qui me sépare du chant du cadran. Je ne m’intéresserai pas aux maniaques avant la nuit suivante. Le monde est beaucoup trop dangereux pour une si petite chose. Je te comprends de pleurer autant!
Il regorge de merveilles aussi, le monde! Si tu savais toutes les splendeurs que j’ai découvertes depuis que je te connais. Jamais je n’avais remarqué à quel point les flocons me plaisaient avant de les observer à travers les grandes fenêtres de l’hôpital, mon poupon dans les bras. Une dernière neige qui rêvait de repousser le printemps. Lorsque l’hiver reviendra, je te retirerai ta petite mitaine quelques secondes, le temps de plonger ta menotte dans les nuages glacés. Avant toi et tes angoisses nocturnes, je ne me souvenais pas avoir déjà vu un lever de soleil à jeun. J’ai pris l’habitude de chercher la lune derrière les gratte-ciel, pour qu’on puisse lui souhaiter bonne nuit ensemble. J’ai loué un jardin, pour t’enseigner que les carottes ne poussent pas au comptoir réfrigéré de l’épicerie. Pour jouer dans la terre avec toi. Pour t’éclabousser en désaltérant les fines herbes. De ma vie, je n’avais jamais assez aimé pour observer la beauté du monde de cette manière.
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Je ne suis assurément pas le meilleur des modèles de zénitude. Suis mes conseils, pas mon exemple! J’ai bien essayé de faire du yoga (maman-bébé), mais, avec tes pleurs incessants, tu multipliais le stress des autres mamans sans diminuer le mien. J’ai bien essayé de méditer, mais tu refusais de te laisser oublier même quelques secondes. J’en ai pourtant rêvé de cette fusion mère-fille. Mais, maintenant, je voudrais t’apprendre que la vie est belle et vaste à l’extérieur de notre bulle. Je n’ai jamais voulu te transmettre mes peurs. J’ai tout tenté pour te rassurer. Pour que tu fasses confiance à d’autres qu’à moi. Dans mes efforts pour affiner tes antennes, pour que tu perçoives la magie, la beauté et la bonté, j’ai raté ma cible. En ce qui te concerne, je n’ai pas encore réussi, mais j’ai fini par le croire, que la vie est belle! Que le plus souvent, elle zigzague sans trop de heurts entre toutes les embûches. Qu’elle nous fait parfois de magnifiques cadeaux. Comme toi! Mais lorsqu’on reçoit un tel cadeau, on réalise tout ce qu’on a à perdre. Je n’avais jamais aimé la vie au point de craindre autant la mort.
Rédaction :
Mélissa Meunier
Mise à jour : 11 décembre 2018
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